Mécanisation de la montagne
J’ai eu connaissance du projet fin avril. La petite station de ski de Crévoux, dans les Hautes-Alpes veut s’agrandir et construire un nouveau téléski, plus d’un kilomètre à gauche de celui qui va déjà quasiment au sommet de la Ratelle. Ce nouveau téléski passerait par la cabane de la Ratelle où j’ai passé quelques nuits d’hiver avec mes amis dans la solitude et le silence de la montagne. Les pylônes et les câbles viendrait détruire un superbe paysage de montagne, alpages vallonnés prisés par les amateurs de ski de randonnée et de raquette. De fait, c’est une rando « classique » facile dans la région.
J’ai appris à skier à Crévoux, alors petite station familiale, avec trois téléskis, un « petit », qui n’avançait pas — à notre grand désespoir —, un « moyen », plus rapide, mais qu’il fallait aller choper en pas de patineur, et un « grand », qui nous emmenait au sommet d’une piste rouge et d’une piste bleue, mais surtout au sommet d’un nombre infini de descentes en hors piste dans les arbres. Je les ai bien écumé ces bois sous des mètres de poudreuse ! C’était bien, car petit et surtout pas cher, donc à la portée de la bourse parentale, et ce, pour toute la famille (nombreuse). Je n’ai jamais autant apprécié une station — même exhibant dix milles kilomètres de piste — que Crévoux.
Puis, vers 12-13 ans, j’ai fait ma première rando sur la Ratelle. Nous avions remonté les pistes avec les peaux, tôt le matin, bien avant l’ouverture des pistes, jusqu’au sommet du « grand » téléski. Restait alors une belle trotte en hors-piste pour rejoindre le sommet. Je me souviens d’un beau couloir dans la forêt, où j’ai fait mes premières conversions. Maintenant, cette rando n’a plus le moindre intérêt vu qu’il y a un quatrième téléski qui va jusqu’en haut. Mais mis à part ce téléski, j’ai ouïe-dire que le visage de la station a été remodelé ces dernières années... Ça fait bien longtemps que je n’y suis pas allé. Je ne fais quasiment plus de ski de piste, désormais... En dépit de ce téléski de la Ratelle, il reste tout un pan de la montagne, vierge de toute installation mécanique, pour le plus grand bonheur des amateurs de nature, de tranquillité hivernale, de silence, de ski de rando, de raquettes... C’est vers le vallon de Pellat. Où l’on va en partant de la Chalp. Or, ce projet vient bousiller tout ça.
Une consultation publique à propos du projet a eu lieu tout le mois d’avril en mairie de Crévoux. Je n’en eu connaissance de la chose que trois jours avant qu’elle ne se termine ! D’après un article sur le Dauphiné de samedi 7 mai, tout le monde est pour, sauf trois-quatre clampins. Normal, « ils » promettent des emplois à la clef. Et puis ce n’est pas Crévoux qui paye, c’est Vars. Alors flinguer une ou deux randos à ski, et mécaniser un pan de montagne, c’est secondaire. On n’y pense même pas. Deux ou trois emplois créés, ça c’est du concret pour le « développement économique » du village ! Le ski de randonnée ne peut pas s’opposer à ça. Il ne rapporte rien, lui...
Voici ce que j’en pense...
Le manque de neige. C’est malheureusement une réalité ces quinze dernières années, qui devrait aller en s’aggravant à l’avenir : la planète se réchauffe. La neige manque, les hivers sont de plus en plus courts. Crévoux souffre déjà du manque de neige, surtout dans sa partie basse : ouverture tardive, fermeture précoce... À quoi bon agrandir une petite station qui souffre déjà du manque de neige ? Crévoux veut s’agrandir, quand une autre petite station, Ceüse, ferme ses portes... La réalité économique est remplie de contradictions... Reste qu’un tel projet sera la porte ouverte au soucis de rentabilité. À l’enneigement artificiel, donc, pour combler le manque. Boucher les trous. Or, on sait déjà l’impact négatif de celui-ci sur les ressources en eau (grand consommateur de flotte), sur le paysage (faut construire d’immenses réservoirs pour stocker la-dite flotte), sur l’écosystème (la neige de culture, plus compacte, fond moins vite au printemps), sur la nature (il faut un germe pour fabriquer des cristaux de glace - la neige -, et c’est une bactérie qui est utilisée pour jouer ce rôle ; on ne connaît pas vraiment son impact sur l’environnement)...
L’aspect économique. C’est évidemment ce qui est mis en avant par les promoteurs du projet. Les crévolains ne peuvent que supporter la chose : ils n’ont pas à débourser un centime (c’est la station de Vars qui paye), et on leur promet une paire d’emplois à la clef, ainsi que plus de monde dans la station... Oui mais. Mais deux emplois pendant combien de temps ? Deux, trois mois ? Le jeu en vaut-il la chandelle ? Quant à drainer plus de monde sur les pistes (et a fortiori dans la station), je ne suis pas convaincu de la chose. Or ce vallon (encore) sauvage dont ce téléski s’apprête à détruire la tranquillité est en fait une petite mine d’or. Selon moi, les touristes viennent dans les Hautes-Alpes parce que ce département a su, jusque là, conserver son caractère un peu sauvage. Or la région de Crévoux est encore une de ces régions sauvages, où l’on vient faire un peu de piste, mais surtout du ski de fond (à la Chalp), du ski de rando, des balades en raquettes l’hiver, des randonnées à pieds ou en VTT, l’été... Plutôt que d’accueillir bras ouvert un téléski tout cuit, il vaudrait mieux réfléchir au meilleur moyen de tirer parti de cet écrin montagnard. Peut-être développer de nouvelles activités touristiques « écologiques ». Des circuits de balades en raquettes, faire découvrir le ski de rando... La plupart des gens venant en vacances faire de la piste ne connaissent pas ces alternatives au ski de masse. Je discutais dimanche dernier avec un guide de haute montagne, qui me disait qu’il avait encadré pas mal de balades en raquettes cet hiver aux Orres. Les gens qui ont la curiosité d’essayer restent émerveillés et redemandent. Développer un tourisme de « nature », même l’hiver, serait bien plus judicieux sur le long terme... Tout comme développer l’accueil des skieurs de rando (Troquets sympathiques au départ, et surtout à l’arrivée ! Logements sur place, bureau d’accueil et d’information...). Pourquoi ne pas faire du coin une « école » du ski de rando ? Faire un terrain de jeu pour apprendre à utiliser l’ARVA (ça existe déjà en Italie et ailleurs en France) ?
La perte du caractère « familial ». C’est ce qui fait (ou a fait, en tout cas) le charme de cette petite station de ski. Un « petit » téléski qui va lentement, grâce auquel j’ai fait mes premiers pas sur les planches, vers l’âge de 3 ans (mes souvenirs de cette période sont assez vagues, mes parents en sauraient plus à ce sujet). Puis un « grand » téléski avec un domaine hors-piste époustouflant que j’ai écumé en tout sens avec les copains ! Mais surtout, ce qui m’a permit de toujours aller skier à Crévoux, c’est le coût du forfait, qui était abordable pour mes parents, qui ne roulaient pas sur l’or, et ce pour moi, mon frère et ma sœur. Un agrandissement de la station entraînera irrémédiablement une hausse du prix du forfait, qui deviendra trop cher pour nombre de familles de la région... Quel dommage, ce serait...
Cette stupide course au « kilométrage » de pistes. Là, je sais, je suis un peu un outsider. En géneral, dans les grandes stations affichant avec ostentation leur 15 000 km de piste, ben y’a une piste de sympa. Ça prend une semaine de les faire toutes, mais au final, on (je) revient toujours sur la même. Alors... Mais je suis le seul qui aime rester accroché a « ma » piste toute la journée, alors cet argument ne tient pas vraiment... Même si cette course effrénée n’a aucun sens ! D’autant que je ne fréquente plus les stations de ski depuis bien longtemps !
Halte au « bétonnage » des montagnes ! L’exemple des Alpes du nord n’a-t-il pas suffit ? Ces massifs entiers couverts de remontées mécaniques, et autres stations de ski ? Pourquoi vouloir absolument suivre le mauvais exemple dans les Hautes-Alpes, qui ont été miraculeusement préservées du béton et autre pylône dans les alpages ? Les touristes qui viennent s’y balader ont aussi le droit de voir des paysages vierges de l’activité humaine. Pourquoi vouloir a tout prix leur gâcher ce plaisir ?
Silence ! Car faut bien l’avouer, une remontée mécanique, ça reste des moteurs, et ça fait du bruit. N’y a-t-il pas assez de bruit en ville pour qu’on veuille apporter cette nuisance jusque dans les montagnes ? Les promoteurs du projet minimisent l’impact du téléski sur le ski de randonnée. Mais ils oublient un détail : le bruit ! Ce téléski va polluer tout le versant. Donc même qui aura trouvé un chemin détourné pour ne pas « voir » les pylônes, sera forcément dérangé par le bruit de la mécanique. Et être en montagne sur fond sonore mécanique, ben, c’est rédhibitoire...
On l’aura compris, je ne vois pas trop le sens d’un tel projet. Même en dehors de l’aspect « ski de rando »...
Guillaume Blanc
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