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Spin - Roman noir de la matière
Un livre, sorti récemment sur les étals des libraires, écrit à deux mains par deux astrophysiciens, Michel Cassé et Jacques Paul. Le premier spécialiste de la nucléosynthèse, le second des observations en rayons gamma. Un roman un peu surprenant. L’idée originale est de faire un livre de vulgarisation sur la matière sombre, ce quart d’Univers qui nous échappe, sans pour autant ennuyer le chaland. Pour ce faire ils se sont appropriés les personnages de la pièce de Yasmina Reza, « Trois versions de la vie », prétexte pour leur faire développer la physique et l’astrophysique qui gravitent autour de cette matière noire.
Malgré le « soucis du détail » de Jacques Paul, comme il le dit lui-même, dans la pièce de Yasmina Reza, qui se jouait au théâtre Antoine en 2000-2001, ce n’était pas Richard Berry qui interprétait le rôle du directeur de recherche, mais Stéphane Freiss (à moins que parfois les comédiens n’échangent leurs rôles ?). Richard Berry était au contraire un jeune chercheur, astrophysicien, qui invitait le ponte à dîner avec sa femme. Ces derniers arrivent avec un jour d’avance, et forcément, il n’y a rien a manger... Moi aussi j’ai vu cette pièce, je ne me souviens plus quand exactement, mais ça devait être à l’automne 2000, donc juste avant mon départ pour les États-Unis. Jacques Paul l’a vu en janvier 2001. Tout comme lui, j’avais trouvé les deux personnages, astrophysiciens de leur état, « formidables d’authenticité ! » Évidemment dans la pièce, l’astrophysique n’était qu’un prétexte pour une comédie de mœurs, bien ficelée de surcroît. Dans ce livre, c’est la comédie de mœurs qui devient le prétexte à la physique ! Si la seconde est bien ficelée, la première, en revanche, laisse quelque peu à désirer...
Les deux personnages sont renommés A*** et B***, pour une raison qui m’échappe : « Je trouverais cocasse de dénommer les deux héros A*** et B*** pour faire accroire qu’il s’agit d’un roman à clés (ce qu’il n’est pas) ! » Mise à part que ceci me laissa perplexe, j’ai dévoré les 300 pages avec plaisir. Le dernier chapitre se retrouve au début, comme le veut la mode, et l’on y trouve un astrophysicien en train de pendouiller dans le vide sur le bâtiment de l’observatoire de Paris. Un astrophysicien grimpeur ? Il n’en fallait pas plus pour achever de me convaincre d’acheter l’ouvrage et de le lire. Évidemment la lecture de la suite allait me montrer qu’il n’en était rien.
Les personnages développés par Jacques Paul et Michel Cassé sont caricaturaux à l’extrême. A*** est directeur de laboratoire, astrophysicien de son état, B*** est chargé de recherche au CNRS, physicien théoricien en physique des particules, qui, en bon théoricien, méprise tous ses congénères mais se doit de faire des courbettes à A*** afin que ce dernier le soutienne lors du concours de directeur de recherche. Grotesque, mais tellement authentique ! A*** quant à lui est un bon vivant, qui profite de l’allégeance que lui voue B*** pour courtiser la ravissante femme de ce dernier. Bref, c’est le scénario d’une mauvaise série B, et d’ailleurs c’est une mauvaise série B. La trame romanesque et absolument pitoyable. Mais bon. Là n’est pas l’essentiel. Encore que. Je ne sais pas à quel jeu se sont frottés les auteurs, mais j’imagine qu’ils voulaient s’essayer à un nouveau genre, sorte de « roman de vulgarisation »...
L’exercice me semble raté, car le niveau requis pour y comprendre un tant soit peu quelque chose est assez élevé, et puis mélanger une comédie de mœurs avec de la physique, je n’ai pas trouvé ça transcendant. Même si, finalement, l’insoutenable suspense de savoir si A*** allait finalement coucher avec la femme de B*** est peut-être l’un des deux moteurs qui m’a permit d’arriver jusqu’à la dernière page. Le deuxième est sûrement de savoir si oui ou non B*** passera directeur de recherche ! Je ne dévoilerais pas le fin mot de l’histoire, si par hasard vous auriez envie de vous jeter dans la gueule de cette sombre histoire. Pourtant le « roman de vulgarisation » existe déjà, je pense notamment au « Théorème du perroquet » de Denis Guedj qui fait des maths un véritable jeu, ou encore « Le monde de Sophie » de Jostein Gaarder qui met la philo à la portée de tout un chacun.
En revanche, j’ai particulièrement apprécié les digressions scientifiques, relativité et mécanique quantiques expliqués avec des mots simples, pour le coup. Mais ça se complique quand on aborde les rayons cosmiques, le concept de spin, bien sûr, et puis la supersymétrie, « SuSy » pour les intimes, ou encore la matière noire et les sursauts gamma... À mon avis si on ne baigne pas dans la physique on se retrouve vite largué. Les auteurs déploient là tout l’arsenal de leurs recherches... Pour en arriver à leurs propres résultats, publiés dans des revues spécialisées. Pourquoi pas. Mais bon. Si c’était intéressant pour moi, j’ai appris plein de choses, je doute que le commun des mortels, non physicien, puisse y trouver quelque bouée à laquelle se raccrocher !
Néanmoins, entre deux digressions sur la physique de tel ou tel concept, on jette un regard unique dans les arcanes de la recherche en astrophysique. Une photo actuelle de la chose. Non pas que je pense que ce soit comme dans le milieu du cinéma où il faut coucher pour gravir les échelons (quoique) - encore que ça ne fonctionne pas toujours -, mais les mondanités de la discipline sont exposées avec moult détails. Je vois bien là la patte des deux auteurs, que j’imagine aussi à l’aise dans les cérémonies diverses et variées, pots et autres conférences, qu’un poisson dans l’océan. Mais tous les astrophysiciens ne sont pas des adeptes inconditionnels des mondanités en tout genre, loin s’en faut. Et tous les astrophysiciens ne sont pas complètements imbus de leur personne comme l’est l’un des personnages. Bref, je trouve que le tableau de l’astrophysique française réalisé par les deux auteurs est bien sombre. Le côté noir de la chose, peu représentatif, en somme. Peut-être était-ce voulu, au regard du thème abordé.
D’un autre côté on s’instruit à chaque page : de nombreuses notes précisent de nombreux points, des digressions historico-culturelles ponctuent les tribulations de nos deux héros. La culture s’étale ci et là, entre histoire de la physique, des personnages qui l’ont faite, des monuments rencontrés en région parisienne, lieux réels où se déroule cette histoire. Et puis tous ces clins d’œils à Brel, Brassens, Cyrano, Aldous Huxley, et j’en passe... Culture résonnante.
Lecture prenante, mais difficilement mettable entre toutes les mains. À mon avis seuls les astrophysiciens apprécieront, ce livre est un peu leur reflet. Sombre, le reflet, mais reflet néanmoins. Subjectif, forcément. Jacques Paul et Michel Cassé sont-ils à ce point désabusés ?
Guillaume Blanc
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