Les tribulations d’un (ex) astronome

Montagnes du Simiens

samedi 8 mai 2010 par Guillaume Blanc

Cette idée d’article germe dans ma tête depuis des lustres, je me suis dis qu’il me fallait bien en accoucher un jour ou l’autre. Il relate une très beau et court voyage que j’avais fait avec Cécile, fin 2007, début 2008. Deux ans, déjà !

À la mémoire de Cécile qui avait adoré ce pays...

L’Éthiopie est un pays étonnant. J’avais vaguement en tête des images de terres arides et désolées, des images de famine (« Loin du cœur et loin des yeux... L’Éthiopie meurt peu à peu... »), des images de dictature (au collège ma prof de français, membre de Amnesty International nous avait fait écrire au président du pays, pour qu’il libère un petit garçon détenu dans ses prisons, pour... rien ! Je devais être en sixième. Quelques années plus tard, la même prof affichait dans le hall du collège que le petit garçon en question avait été libéré... Cet épisode m’avait marqué, le nom de la capitale du pays qui figurait sur l’adresse du président à qui j’avais envoyé ma lettre est resté gravé dans ma mémoire : Addis-Abeba), bref, rien de très folichon qui eu pu me donner envie d’y mettre les pieds.

C’est un copain de Cécile, Yves, qui habite là-bas depuis pas mal d’années, marié à une éthiopienne, qui m’a donné envie d’y aller. Le guide Lonely Planet vantait un somptueux pays, aux paysages magnifiques.

Mes anticorps contre la fièvre jaune dans le sang (la bonne nouvelle c’est que comme nous serons toujours à plus de 2000 m d’altitude — Addis-Abeba est à 2400 m d’altitude —, pas besoin de se prémunir contre le paludisme véhiculé par les moustiques des endroits moins élevés en altitude) et le visa du pays sur mon passeport, je suis allé passé une dizaine de jours là-bas, à cheval sur la nouvelle année.

Cette année-là, l’Éthiopie fêtait son « An 2000 » ; ici à Gondar.

Enfin, nouvelle année pour nous autres, « français », parce que les éthiopiens, fort de leur calendrier unique, fêtent la nouvelle année le 11 septembre. De surcroît ils ont un décalage, l’an 2000 fut fêté là-bas le 11 septembre 2007 de chez nous [1]... De quoi rajeunir un bon coup ! C’est un pays équatorial, 9° de latitude nord pour la capitale, ce qui lui confère des jours et des nuits dont la durée varie peu au cours de l’année. Et les éthiopiens comptent les heures depuis l’aube jusqu’au crépuscule. À 6h du matin, il est 0h à la montre éthiopienne, à 18h, il est 12h... L’Éthiopie est un pays grand comme deux fois la France, 80 millions d’habitants, un des seuls pays d’Afrique à n’avoir pas subit de colonisation : les italiens ont bien essayé, mais ils se sont fait mettre dehors rapidement.

Évidemment, l’occidental est surpris dès qu’il quitte l’aéroport aseptisé de la capitale : les rues d’Addis-Abeba ont ce goût de l’anarchie qui n’existe plus chez nous (quoiqu’on en pense) depuis belle lurette. Et les rues ne sont pas toujours asphaltées. Les gens sont noirs, forcément, et habillés de couleurs vives, ici au moins, les gens vivent souvent de manière misérable, mais ils sont gais. Ils sont beaux. Surtout les femmes.

Addis-Abeba

Nous passerons deux jours chez Yves qui était alors en train de monter une agence de randonnées à cheval, la première du genre dans ce pays. D’ailleurs nous irons chevaucher ses bestioles dans la cambrousse à quelques encablures du centre de la capitale. Steppe aride à perte de vue, dans les herbes jaunies par la sécheresse. Magnifiques paysages. Nous ne croiserons que quelques cultivateurs. Nous passerons par un village où règne une ambiance fébrile et festive, car il accueille une sorte de foire, on y trouve surtout des bêtes que se disputent les hommes, tandis que les femmes vendent des graines et des épices de couleurs bariolées, dans une sorte de marché à même la terre battue. Notre arrivée à cheval fit sensation. Non pas les chevaux — ils chevauchent eux-mêmes et font même un concours de vitesse dans la lande —, mais ces hommes et ces femmes blancs. Ils n’en voient pas souvent et Cécile fut prise d’assaut par enfants !

Chevauchée fantastique dans la banlieue d’Addis-Abeba.

Cette « petite » balade nous aura pris presque la journée. Cécile a pu apprécier en connaisseuse les chevaux dénichés par son ami pour son centre équestre, tandis que j’essaye de limiter les dégâts du côté de mon arrière-train (j’aurais ensuite un peu de mal à m’asseoir pendant deux-trois jours...) : toute une journée de cheval, c’était une première pour moi.

Dès le lendemain de cette expérience équestre, nous prenons l’avion pour le nord du pays : Gondar. Là, un guide nous attend, c’est Jemal, qui nous avait été conseillé par Yves, pour nous emmener dans le parc national des montagnes du Simiens.

Nous n’avions pas beaucoup de temps, et, en touristes pressés mais qui veulent tout voir, avions ainsi « réservé » une randonnée de 5 jours clefs en main : 4 jours de marche, un jour de visite de la ville de Gondar. Si Cécile avait l’habitude de se faire balader en trek par des guides, moi pas vraiment. De toutes façons, pas trop le choix car pour se balader dans le parc national des Simiens, il faut avoir un guide. Et puis aussi un garde du parc (armé). Et bien sûr toute la logistique qui va avec : cuisinier, ânes pour porter le matos, et bonhomme pour guider les ânes.

Quelqu’un un tant soit peu épris de liberté, comme j’ai tendance à l’être, peut éventuellement rechigner à devoir se coltiner tout ce monde-là. Mais après coup, et après en avoir accepté l’idée, j’ai trouvé l’expérience incroyablement enrichissante : Jemal a effectivement passé des heures à nous raconter plein de choses sur son pays, dans un anglais certes approximatif, mais préférable à sa langue à lui, l’amharic.

De l’aéroport de Gondar, nous sommes partis pour une cinquantaine de kilomètres de 4x4 sur une piste poussiéreuse. Deux heures de route pour approcher les hauts plateaux. Premier contact à travers les vitres poussiéreuses et les chaos de la route.

Les montagnes du Simiens : des paysages à couper le souffle et des babouins Gelada !

Et puis, enfin, on s’arrête. Nous continuons à pieds, tandis que le 4x4 ira jusqu’au premier camp porter nos affaires. Petite marche tranquille et salutaire après les trépidations de la machine, nous découvrons avec émerveillement le bord du plateau
— nous sommes à plus de 3000 m d’altitude — falaise ourlée de végétation exubérante, qui plonge vers un fantastique paysage incroyablement découpé. Nous croisons également notre première tribu de babouins Gelada, endémiques de la région. La première fois que je vois des singes en chair et en os : je suis gâté, il y en a des dizaines, qui passent à quelques mètres de nous.

Babouins Gelada, endémiques et emblématiques des montagnes du Simiens.

D’ailleurs, nous sommes là au milieu de ces pauvres bestioles qui doivent bien se demander à quoi jouent ces deux uluberlus qui photographient à tout rompre, tels des japonais en vadrouille. De fait, je suis comme fou ! Eux ne se préoccupent pas de notre présence (ça ne doit pas être leurs premiers touristes !), et vaquent à leurs occupations, essentiellement de l’épouillage mutuel...

La balade se poursuit au milieu du paysage grandiose et d’une végétation qui si elle ne paraît pas complètement démente ne fait en tout cas écho à rien que je ne connaisse.

Lobelies géantes, arbre caractéristiques des hauts plateaux des montagnes du Simiens.

Dans le parc, les camps sont dans des endroits aménagés, avec un abri, en général pour les cuistots, et un terrain pour planter les tentes, une cabane avec un trou pour les toilettes, et une fosse pour brûler les déchets. De fait, globalement, la nature alentour est relativement propre. Jemal nous dit qu’il est à l’origine des fosses à ordures.

Paysage depuis le sommet de l’Imet Gogo dans les montagnes du Simiens.

Au fil des jours, nous allons découvrir un monde hallucinant, parce que loin de nos paysages européens, un monde tropical aride dans lequel je mettais pour la première fois les pieds. Un plateau dont l’altitude varie entre 3000 et 4500 mètres, une végétation de steppe, herbe rase, jaunie par la sécheresse, des arbres inédits, comme les Lobélies Géantes, des singes qui se baladent au milieu de tout ça, des hommes aussi, dont nous croiserons quelques villages et jeunes gardiens de chèvres. Plateau qui serait d’une profonde monotonie s’il n’était découpé par de larges et profondes vallées aux versants abrupts couverts de végétation. Notre balade de cinq jours cheminera justement le long du bord de ce plateau. Pour culminer le dernier jour à 4100 mètres sur le Mont Bwahit. De ce promontoire, nous voyons le point culminant du pays, le Ras Dashen, à 4550 mètres d’altitude.

Vers le Mont Bwahit (4400 m) dans les montagnes du Simiens.

Nous ne croiserons que peu d’autres touristes trekkeurs. Ce n’était pas la foule, et c’était tant mieux. Par ailleurs nous n’avons pas croisé une seule goutte de pluie, et à peine quelques menus nuages décoratifs  : s’il y avait bien une constante au cours de cette balade, c’était la météo. Qui affichait invariablement grand beau du matin au soir. Et même la nuit. J’ai pu m’offrir une plongée féérique dans un ciel couvert de myriades d’étoiles, comme on n’en voit plus guère dans nos contrées occidentales qui éclairent le firmament. J’ai même pu observer pour la première fois de ma vie (et la seule pour le moment !) la lumière zodiacale.

Depuis le camp au pied du Mont Bwahit, nous rentrerons à Gondar en 4x4. Là,

Palais impérial à Gondar.

logés dans une sorte d’hôtel pour touriste routard, nous découvrirons cette petite ville sympathique. Jemal nous fera visiter les monuments historiques, le palais impérial Fasil Ghebi qui date du XVIe, les bains de Fasiladas qui étaient alors en restauration... Nous irons nous perdre seuls dans l’immense marché, seuls blancs dans une gigantesque marée humaine. Jemal m’emmènera dans un resto éthiopien, ou l’on mange le plat typique, l’injera, sorte de crêpe géante dans laquelle on met des sauces, de la viande cuisinée, des légumes, que l’on découpe ensuite avec ses mains, pour enfourner le tout du mieux possible dans sa bouche. Pas de couverts, pas d’assiette, on mange dans le même plats, à la main. Pas de vaisselle ! Ce n’est pas mauvais, mais ce n’est pas un souvenir gastronomique impérissable ! Au retour Jemal nous a amené à l’aéroport un peu tard, nous avons loupé notre vol pour Addis-Abeba, et gagné une nuit en plus à Gondar.

La devanture d’un photographe, à Gondar.

Avant de quitter la terre éthiopienne, nous allons voir le musée national d’Addis-Abeba, qui abrite, entre autre, une réplique des ossements de Lucy. Nous ferons le tour de quelques magasins, puis nous traverserons la ville à pieds pour rentrer chez Yves. Là, nous avons croisé la misère et la pollution : un cours d’eau complètement pollué par des égouts, des poubelles, des rejets divers et variés, et des gens qui habitaient tant bien que mal juste à côté... La face cachée de la misère... Nous sommes allés dans le hall de l’un des plus luxueux hôtels de la ville, car c’était, curieusement, le seul endroit où l’on pouvait changer de l’argent et obtenir des birrs la monnaie du pays, pour ensuite traverser une sorte de bidonville de bric et de broc, juste à l’extérieur du mur qui protège ce coin de richesse outrancière pour occidental « propre » du « vrai » monde.

J’ai pas mal cogité sur le fait de faire un voyage en avion, polluant, pour un séjour très court (dix jours). Sur le fait d’utiliser un 4x4 pour aller nous balader dans les montagnes, mais finalement je me suis dis que ce pays est en pleine expansion touristique. Il a besoin, quelque part, de nos devises pour se développer et s’ouvrir. Donc aller dépenser de l’argent là-bas, même au prix d’un peu de dioxyde de carbone dans l’atmosphère n’est pas vain. Au contraire.


Quelques liens :

  • D’autres photos ;
  • Equus Ethipia, le centre équestre de Yves qui propose des treks à cheval ;
  • Le guide Jemal Hussien qui vous emmenera non seulement dans les montagnes du Simiens, mais également un peu partout dans les paysages somptueux de son pays.

[1J’ai mis un peu de temps à comprendre pourquoi les centres des quelques villes que nous avons parcourues étaient plein de banderole fêtant l’an 2000 !


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