Les tribulations d’un (ex) astronome

Sirac

mercredi 4 septembre 2013 par Guillaume Blanc

Juillet 2012. Anne-Soisig enceinte, nous avions décidé d’y aller mollo et de privilégier la randonnée sur la grimpe ou l’alpinisme. De là a émergé l’idée de faire le tour de l’Oisans. Évidemment, le tour standard ne me semblait pas suffisamment « fun » j’ai donc imaginé quelques menues variantes. Dont un départ à proximité d’Embrun avec passage par le Mont Guillaume, puis le Mourre-Froid, etc.

Ainsi, après une superbe étape entre le haut de la station d’Orcières-Merlette, où nous avions bivouaqué, et le refuge de Vallonpierre, le temps de passer cinq cols (Prelles, Cheval de Bois, Vallette, Gouiran et Vallonpierre), je découvrais ce petit coin de paradis où est délicatement posé le refuge idyllique, au bord d’un lac miroir, en marge d’une vaste et plane prairie d’altitude, au pied de la face nord-ouest du Sirac. Sirac à la silhouette massive et austère. Et puis cette arête nord qui grimpe jusqu’au sommet en se découpant sur le ciel. Le gardien du refuge m’apprit à ce moment-là que la chose était cotée AD, donc tout à fait dans mes cordes.

La suite était sans compter que mon sac était lourd, la belle étant enceinte, que j’avais oublié que les descentes à pieds usent un chouïa plus que les montées, contrairement au ski de randonnée et que j’avais également oublié qu’une paire de chaussettes épaisses, c’était mieux dans les « grosses » chaussures qu’une paire fine. Tour de l’Oisans qui fut donc avorté [1] — j’avais les pieds en compote — à La Chapelle-en-Valgaudemar après des kilomètres et des kilomètres d’une descente du refuge littéralement interminable, nous nous étions promis de revenir précisément là avec la panoplie du parfait alpiniste. Ainsi fut fait.

Tout au fond, le Sirac

José nous rejoint mardi 20 août 2013 pour l’occasion. Sarah est gardée par sa grand-mère, bien entourée par ses cousins et cousines. Un petit coup de voiture pour contourner le massif par le sud-ouest, et s’ensuit une courte montée au refuge le mercredi pour se mettre en jambes. De belles lumières de fin d’après-midi nous accompagnent dans cette vallée de la Séveraisse. L’arrivée sur le Pré de Vallonpierre le mal-nommé au dernier moment, détour du sentier, est incroyable : pépite de verdure lovée dans un écrin minéral. Le refuge, superbe de pierres et de bois se mire dans le petit lac agrémentant admirablement le paysage ambiant, si tant est qu’il en ait besoin ; miroir naturel omniprésent posé là comme pour refléter une nature narcissique et pourtant Ô combien généreuse de ses atours.

Le Banc des Aiguilles se mire

L’accueil est chaleureux, la gardienne nous explique en détails le topo de notre course, nous montre les passages délicats directement en visuel sur le terrain... Nous avons décidé de passer deux jours là, le premier pour faire la traversée des arêtes du Banc des Aiguilles, qui est en fait le contrefort de l’arête nord du Sirac. Ainsi, nous aurons parcouru l’ensemble de l’échine rocheuse. De surcroît, cette petite course va nous permettre de tester notre cordée à trois, même si je ne suis pas trop inquiet !

Le Banc des Aiguilles au pied de la face nord du Sirac
Sur la crête du Banc des Aiguilles, avec les Rouies et l’Olan en arrière-plan

Jeudi, le réveil est tardif. L’objectif de la journée n’est pas très ambitieux. Après le petit déjeuner, nous partons à 8h. Une demi-heure plus tard, nous sommes au départ de notre arête du Banc des Aiguilles, entre roc et verdure. Quelques ressauts qui grimpent un peu, entrecoupés de parties herbeuses, un premier sommet, puis un deuxième, et les choses sérieuses commencent : la crête devient arête, le vide se creuse de chaque côté, la progression ralentit quelque peu. L’ambiance devient magique.

Sur l’arête du Banc des Aiguilles avec le Pic Jocelme au fond

Le rocher est excellent, nous sommes seuls sur la montagne. Seuls, mais pas loin de tout, de part et d’autre, un refuge en vue ! Engagement minimaliste. Nous arrivons néanmoins rapidement au sommet, sommet largement dominé par le Sirac sept cent mètres au-dessus. Petite pause régénératrice. Même si nous avons l’arête nord du-dit Sirac sous les yeux, le soleil en contre-jour qui en jouxte le sommet nous empêche d’en distinguer les détails.

Nous entamons la descente, un bout d’arête jusqu’à la brèche, puis un système de couloirs et de vires, agrémenté de trois ou quatre petits rappels, ce qui nous donne l’occasion de repérer le tortueux cheminement pour le lendemain. Une fois les difficultés derrière nous, un bout d’éboulis et quelques névés nous amènent sur la verte prairie.

Génépi... Pas touche !

Nous passerons l’après-midi sur la terrasse du refuge, qui à mater les topos de l’arête nord, qui a profiter du spectacle des randonneurs, petits et grands, allant en venant.

Le soir, le refuge est plein. Une folle ambiance règne dans le réfectoire, d’autant que pas mal de jeunes enfants ont fait le chemin jusque là. Le lendemain, vendredi, le réveil est à 4h30. Petit-déjeuner des alpinistes. Une cordée de trois gardes du Parc National des Écrins va faire la voie normale du Sirac — dur boulot ! — , tandis que nous serons deux cordées sur son arête nord, l’autre étant un guide et son client.

Départ à la frontale à 5h. La Lune, quasiment pleine dans un ciel limpide, illumine à la fois la prairie et la face rocheuse du Sirac. Ambiance magique, dans laquelle nous approchons rapidement du départ de notre escalade. D’abord des vires de rochers polis par l’ex-glacier, puis un ressaut retord qui nous demande de tirer une petite longueur de corde : ça réveille, tout d’un coup. Ensuite nous rejoignons rapidement la brèche qui marque le départ de l’arête.

Arête qui n’en est finalement pas vraiment une, mais plutôt un pilier ou un éperon. Car jamais le rocher ne sera effilé, et quasiment toujours nous aurons le choix de l’itinéraire. Avec l’autre cordée, nous nous suivons sans vraiment nous suivre, qui passe par là, qui passe par ici, une fois à fois, une fois à gauche. Nous réussirons pourtant à leur envoyer quelques beaux pavés pas très loin de leurs tronches... De fait, le rocher est globalement bon, mais pas « excellent » ; la première moitié de la voie est entrecoupée de vires d’éboulis. La descente, au-dessus du glacier de Vallonpierre n’est pas en reste et l’autre cordée, juste devant, donc légèrement en-dessous, aura encore droit à quelques volées de caillasses.

Nous avions débuté l’escalade entre chien et loup, à la frontale, puis rapidement l’aube prit le dessus. En arrivant à la brèche, le soleil était déjà levé et bien levé, illuminant généreusement l’arête qui nous attendait. Le ciel est complètement limpide, le panorama — Pic Jocelme, Rouies, Olan, ... — superbe. Une lune bien ronde décore avantageusement le tout ; ponctuation dans le ciel, tout comme deux fines traînées de cirrus entrecroisés, uniques points d’interrogations dans un ciel autrement limpide, et prémisses d’une mise en nuage dans la poignée d’heures qui suivirent.

L’arête du Banc des Aiguilles vue depuis l’arête nord du Sirac

Plus de 900 m d’escalade au total, jamais dure, même si quelques passages nous ont donné un peu de fil à retordre — dont une chouette et courte cheminée —, mais globalement assez soutenue : ça grimpe à peu près tout le temps. Nous arrivons au sommet vers 11h. Le panorama est déjà bien bouché, les mêmes cumulus (ou peu s’en faut) que la veille emmitouflent les sommets alentours. Pourtant, la Barre des Écrins, au nord, dépasse de cet édredon, face sud rocheuse, couronnée sur sa gauche par la moumoute blanche et neigeuse du Dôme. Le panorama sud nous est définitivement fermé, des volutes de brouillard montent du versant Champoléon pour nous lécher les basques avant de s’évanouir dans l’azur au-dessus de nous.

Descente du Sirac : le passage du gendarme caractéristique

Mais il nous reste néanmoins un gros morceau : la descente. Nous ne traînons pas. Le guide part devant. De vires en rocher péteux en vires de bon rocher, nous nous rapprochons du glacier, sur lequel nous poserons le pied cramponné en deux courts rappels. Glacier débonnaire que nous franchissons rapidement.

Déguingolade du glacier de Vallonpierre

Pause casse-croûte contemplative dans les rochers, avant le dernier ressaut et une interminable (forcément) descente dans les éboulis au-dessus du refuge.

High-tech

Là, sur la terrasse ensoleillée nous nous attardons pour le plaisir de se poser dans ce cadre qui incite presque plus à la rêverie qu’à l’action, avec la dégustation d’une boisson fraîche pour l’occasion, tout en nous délectant à la longue-vue du spectacle sanglant de la nature, quand un groupe de vautours s’acharne à dépecer un pauvre chamois qui a dû louper une marche dans les barres du dessus...

Avant de nous remettre en route pour rejoindre le fond de la vallée.

[1Et donc transformé en fin de compte en une superbe traversée Mont Guillaume - La Chapelle-en-Valgaudemar. Le temps qui nous restait fut mis à profit pour aller grimper en Ubaye. En fait, c’était quand même plus marrant.


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