Les tribulations d’un (ex) astronome

Interstellar - addendum/erratum

vendredi 14 novembre 2014 par Guillaume Blanc

Ce film est extraordinaire dans la mesure où il fait réfléchir un peu tout le monde à propos de la science. Y compris les scientifiques eux-mêmes (des billets semblables aux miens ont fleuri et fleurissent encore un peu partout : Richard Taillet, Jean-Pierre Luminet pour ne citer que ceux-là !), ce qui est assez inhabituel ! La science distillée dans le film n’est pas à la portée du premier venu, même pas à ma portée, d’ailleurs, n’étant pas spécialiste de relativité générale, de trous noirs, de trous de ver, de dimensions supplémentaires, etc...

Les astrophysiciens sont ainsi mis en avant par les médias — ça nous change ! —, comme Alain Riazuelo par Sciences et Avenir, qui est l’un des rares capables de comprendre la physique du film. Son interview par Sciences et Avenir donne d’ailleurs des réponses précises — enfin, plus précises que les miennes ! — sur les trous de ver... Par rapport à mon billet précédent, il me faisait remarquer que les effets de marées inexistants sur les humains qui se baladent à proximité de l’horizon du trou noir dans le film ne sont pas choquants, à condition que le-dit trou noir soit de taille galactique, c’est-à-dire de plusieurs millions de masses solaires. Effectivement, dans mon laïus, je partais du postulat que le trou noir « Gargantua » était stellaire, mais finalement, rien ne le suggère véritablement, et de fait il peut bien être galactique [1]. Mais a priori, cela veut dire que le trou de ver débarque dans une région particulière de la galaxie ainsi visitée, proche du centre, les trous noirs supermassifs étant au centre de leur hôte. Après peu importe la galaxie où l’équipage débarque, presque toutes ont un tel trou noir central.

Du coup, on doit pouvoir imaginer des vagues de marée assez gigantesques [2] sur une planète proche de l’horizon, comme la première planète visitée, qui, compte tenu de sa taille doit commencer à subir des forces de marée assez intenses (quant à savoir pourquoi de telles vagues semblent stables et donc ne déferlent pas... ?). Mon petit calcul sur la taille des vagues dans le billet précédent, est donc un peu caduque...

Pour les nuages de glace, sur la deuxième planète, il faudrait une atmosphère relativement dense pour que la poussée d’Archimède y régnant puisse supporter de telles structures. Soit au moins une atmosphère de densité 917 kg/m^3 (la masse volumique de la glace) pour que des nuages de glace d’eau puisse s’y trouver en suspension, donc plus proche d’un liquide que d’un gaz.

La richesse de ce film réside aussi dans le fait qu’elle amène des discussions sympathiques avec les collègues, j’ai ainsi appris que l’espèce de labyrinthe spacio-temporel dans lequel se retrouve le héros une fois qu’il a pénétré dans le trou noir, est en fait un tesseract, c’est-à-dire l’équivalent d’un « cube » — hypercube — en quatre dimensions... Je ne suis pas encore arrivé à me représenter la chose dans mon petit cerveau 3D, mais je ne désespère pas !

La Grande Arche de la Défense
Voici la projection d’un tesseract — cube 4D — dans un espace à trois dimensions, le nôtre, en l’occurrence (enfin, il lui manque quelques faces, quand même).

Quant aux équations sur le tableau noir, qui ont choqué [3] un autre collègue interrogé cette fois par Télérama, ce sont les équations de modèles d’univers à dimensions supplémentaires. Donc d’après ces modèles, il serait (théoriquement) possible que le héros puisse voyager dans l’espace et le temps, communiquer par gravité interposée avec sa fille. « C’est tordu, mais basé que des choses sérieuses (quoique peu vraisemblables !), » pour Alain Riazuelo. Et là, ça me dépasse un peu.

Quoiqu’il en soit, il va vraiment falloir que je revoie le film avec ces éclairages ! Il risque donc d’y avoir de nouveaux addenda — ça fait classe, addenda, tout de même ! — dans l’avenir, d’autant que vais essayer de lire le bouquin de Kip Thorne...

[1La différence d’attraction sur un objet de taille $L$ situé à la distance $R$ de la masse $M_TN$ du trou noir est donné par : $\Delta g = 2G M_TN L/R^3$ dans l’approximation newtonienne. Si on se place sur l’horizon, qui pour un trou noir en rotation (trou noir de Kerr), a pour rayon, celui de Schwarzschild divisé par deux, $R=R_S/2= GM_TN/c^2$, on a : $\Delta g = 2Lc^6/(G^2M_TN^2)$.

Si on considère la taille d’un être humain, $L \sim 1\ \textm$, celui-ci ne peut pas subir une différence d’accélération entre sa tête et ses pieds supérieure à « 1 $g_T$ » sous peine de dommages préjudiciables. Avec $g_T = GM_T/R_T^2$ où $g_T$ est l’accélération de la pesanteur à la surface de la Terre, $M_T$ est la masse de la Terre et $R_T$ son rayon. On peut donc en déduire la masse minimale du trou noir pour que $\Delta g < g_T$, soit $M_TN > \sqrt2Lc^6/(G^2 g_T)$, avec $c= 3\cdot 10^8\ \textm\cdot \texts^-1$, $G = 6.67\cdot 10^-11\ \textm^3\cdot \textkg^-1\cdot \texts^-2$ et $g_T = 9.81\ \textm\cdot \texts^-2$. Donc : $M_TN > 1.8\cdot 10^35\ \textkg$, et comme la masse du soleil vaut $M_\odot = 2\cdot 10^30\ \textkg$, cela fait $M_\odot = 90000\ M_\odot$.

Si maintenant, on considère la taille de la Terre, soit $L \sim 2 R_T$, alors la masse du trou noir doit être supérieur à 320 millions de masses solaires...

[2La hauteur de la marée est directement proportionnelle à la différence d’attraction $\Delta g$. Sur Terre, cette différence d’attraction vaut environ $\Delta g_T = 10^-7\times g_T = 10^-6\ \textm\cdot \texts^-2$ et la marée a pour hauteur environ 1 m. Avec un $\Delta g_TN = g_T$ (voir note ci-dessus), les vagues auraient une hauteur de 10 000 km (soit la taille du diamètre de la planète !)... Si on considère des vagues de hauteur environ 1 km (difficile d’estimer la hauteur de ces vagues !), on obtient $\Delta g_TN \simeq 10^-3\ \textm\cdot \texts^-2$, donc un trou noir de masse 320 000 fois la masse du soleil...

Avec ces vagues, on peut aussi estimer la période de rotation de la planète, à raison d’une vague toutes les 10 minutes, ça fait une journée d’environ 20 minutes (deux vagues de marée par « jour »)...

[3Moi, je n’ai pas été gêné : même si je préfère une feuille de papier pour faire des calculs, j’ai des collègues, théoriciens ou pas, qui affectionnent — encore — le tableau, noir ou blanc, pour « réfléchir » !


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