Aller en montagne, c’est bon pour l’altruisme !
Dans le numéro de Sciences Humaines d’octobre 2015, un travail de recherche en psychologie est mentionné. Dans ce travail, les chercheurs ont voulu savoir si quand on éprouve une certaine crainte ou que l’on est intimidé par quelque chose (« awe » en anglais), on avait plus tendance, ensuite, à mettre de côté notre petite personne pour avoir un comportement plus tourné vers les autres.
L’article qui relate ces résultats, « Awe, Small Self, and Prosocial Behavior » par Piff et ses collègues, fait référence à cinq expériences menées par les auteurs. L’une d’elles, qui a retenu l’attention du journaliste de Sciences Humaines, et donc la mienne, fut de mettre un groupe de personnes (des étudiants) devant une forêt d’arbres imposants, des eucalyptus, de les laisser regarder ces arbres gigantesques (atypiques) pendant une minute. Un groupe de contrôle devait regarder, lui, un building imposant (mais commun).
Le résultat est que le groupe ayant regardé les arbres avait ensuite tendance à plus aider l’expérimentateur (qui faisait tomber des stylos par terre à dessein), à prendre des décisions plus éthiques (de l’argent donné accidentellement est-il rendu ou pas ? Une bonne note reçue par erreur est-elle signalée au professeur ou pas ?), à penser que ce qu’on leur doit est moindre (« entitlement » en anglais), notamment en leur demandant quelle somme devraient-ils recevoir pour leur participation au test.
Les auteurs précisent bien que la forêt qui sert de mise en scène est un environnement impressionnant, imposant, qui inspire une sorte de crainte ou d’admiration. La nature de manière plus générale étant souvent source d’un tel sentiment.
Ils expliquent ce glissement depuis le soi vers l’autre, inspiré par ce sentiment de crainte, comme le fait que cette dernière étend la perspective individuelle pour inclure des entités plus vastes et plus puissantes que soi-même, diminuant la saillie du moi individuel [1].
Je ne suis pas spécialiste de ce genre de chose, je ne me permettrais donc pas de critiquer cette étude, même si l’échantillon reste petit (90 personnes) et peu représentatif de l’ensemble de la population (il s’agit d’étudiants). En revanche, les autres expériences menées dans l’étude ont été menées avec d’autres échantillons de personnes et à l’aide de supports différents. Et toutes corroborent la conclusion qu’une situation où un individu expérimente la crainte admirative (« awe ») tend à faire de lui quelqu’un de plus tourné vers les autres. Plus altruiste.
Je me permettrais seulement d’extrapoler un peu (beaucoup !) le résultat de cette étude à la montagne, un environnement naturel qui inspire forcément cette « crainte admirative » décrite dans l’article. Donc qui induirait des comportements plus altruistes chez les individus qui expérimentent le paysage de montagne qui en « impose. » Et quel paysage de montagne n’en « impose-t-il » pas ?
D’où le devoir de préserver cet environnement fragile ne serait-ce que parce que l’être humain en a besoin. Besoin pour pouvoir vivre en société, l’altruisme étant une des briques de l’humanisme. Quand nous aurons détruit tous les environnements naturels, et ceux de montagne en particulier, que nous restera-t-il de notre humanité ?
Les pylônes qui hérissent les flancs des montagnes et coiffent leurs sommets procurent-ils le même sentiment ? Si on en croit l’étude précitée, il est peu probable que ce soit le cas. Quel intérêt, donc, à part l’intérêt pécuniaire de court-terme, de vouloir à tout prix dompter et équiper cet environnement, hostile, mais fragile, et tellement nécessaire à notre propre équilibre. L’expérience [2] de la montagne sauvage, hostile, imposante, mais néanmoins admirable est ainsi nécessaire à la cohésion de notre société. Comment peut-on vivre en société sans humanité ? Sans un minimum d’altruisme ?
L’association Mountain Wilderness œuvre pour une montagne préservée, pour une montagne plus humaine, pour une « montagne à vivre. » Rejoignez-la pour que cette expérience sensationnelle existe toujours. À l’heure où l’on construit des téléphériques démesurés pour rallier la « haute montagne, » à l’heure où les stations de ski visent toujours plus de kilomètres de pistes et donc de pylônes sur les montagnes, à l’heure où certain Parc National ne fait plus l’unanimité devant l’or blanc (en voie de réchauffement, pourtant...), c’est d’une brûlante actualité. La montagne comme expérience personnelle « admirable » se réduit sous les pelles mécaniques et le béton. Jusqu’où ? C’est une part de notre humanité qui est en jeu ! Or c’est le sentiment de crainte et de grandeur qui nous fait sentir « petit » et donc plus à même de nous tourner vers les autres. C’est l’expérience de la nature à l’état pur, brut, qui en « impose ». Ce n’est pas avec un « pas dans le vide » aseptisé au sein d’une foule compacte dans un environnement bétonné que ce sentiment pourra s’insuffler en nous. Au contraire, même. Le côté artificiel de la chose, le prix à payer (en monnaie sonnante et trébuchante, et non en terme d’effort et de sudation), en font une consommation de plus dans un monde de folie consommatrice, qui pourrait peut-être même conduire à des sentiments opposés.
Non, pour se sentir « grandit » par notre humanité, il faut « se sentir tout petit » devant la nature pour reprendre le titre de l’article de Sciences Humaines. Et donc ne pas vouloir systématiquement réduire la nature à notre taille.
[1] Je ne suis pas sûr de tout comprendre : finalement, la physique, c’est moins alambiqué que la psychologie ; et lire de la psychologie en anglais : wouahou !
[2] Elle est infiniment diverse, entre la simple contemplation du paysage facilement accessible, la randonnée qui y mène ou encore l’alpinisme, il y a toutes les variations possibles. En revanche, elle n’est pas la même depuis un téléphérique, un restaurant d’altitude ou tout autre construction humaine destinée à approcher la montagne de loin. Cette dernière peut se résumer à une expérience citadine.
Guillaume Blanc
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