Les tribulations d’un (ex) astronome

Étiquettes

samedi 22 août 2009 par Guillaume Blanc

J’adore les pommes. Et n’ayant pas de pommier dans mon jardin, il m’arrive d’avoir recours au marchand de pommes pour assouvir mon besoin. Marchand de pommes sous des formes diverses, mais dont la plus récurrente reste le supermarché. Or les pommes de supermarché, ou de primeur, c’est selon, sont systématiquement et individuellement étiquetées. Pouf ! Une pomme, une étiquette. Je me suis toujours demandé à quoi cela pouvait bien servir...

Oui, franchement, pourquoi s’enquiquiner à coller une étiquette sur chaque pomme ? Enfin, ce pourquoi-là, en fait, ne m’intéresse pas, déjà qu’ils balancent des dizaines de pesticides divers et variés sur chaque pomme, alors, je ne suis pas à une étiquette près. Cependant il conditionne inextricablement un autre pourquoi : pourquoi quand j’achète un kilo de pommes, faut-il en plus que je passe du temps (bon, sept secondes dans le meilleur des cas) à enlever cette foutue étiquette ?

Bon, vous allez me dire, pourquoi l’enlever, cette étiquette ? Parce que je mange les pommes avec la peau. Une pomme, c’est avec la peau. Une banane, c’est sans la peau, une pomme c’est avec. Les pesticides ? Bah, ça donne du goût ! Sauf que l’étiquette je n’aime pas son goût (ceci étant si je pouvais décoller les pesticides de ma pomme comme je décolle l’étiquette, je le ferais volontiers !). Donc je l’épluche, l’étiquette. Enfin, je la décolle. Parce qu’elle est collée, la garce, et bien bien collée, souvent. Trop bien collée, parfois. À tel point, qu’il arrive qu’il soit inévitable de garder des bouts d’étiquette sur la pelure de la pomme non pelée. Morceaux de cellulose gavés de produits chimiques, et colle qui doit avoir peu de composés ingurgitables sans faire de pernicieux dégâts intérieurs. Mais que voulez-vous, une bonne pomme, ça se croque avec la peau !

En plus, parfois, dans l’urgence, il arrive que la phase de scrutation de la surface pommesque passe à la trappe. Et qu’est-ce qui est pire que de trouver une étiquette sur une pomme ? De n’y trouver qu’une moitié d’étiquette au bord d’une parfaite trace de mâchoire... D’autant que l’étiquette, ça colle aux dents. Et ça n’a pas pour autant le goût du caramel mou au sel de Guérande. Non, non, non.

Alors, pourquoi donc appose-t-on une étiquette sur les pommes, puisqu’il faudra nécessairement l’enlever. C’est son destin, à l’étiquette, finir à la poubelle. Alors, à quoi bon ? Encore un mystère que le siècle dernier a jeté délibérément dans celui-ci, laissant l’arcane perdurer... Et s’épaissir avec le temps : les étiquettes des pommes semblent effectivement se reproduire et muter vers d’autres fruits non moins délectables, même si plus saisonniers. Pêches et nectarines commencent à être à leur tour touchées par l’épidémie d’étiquetage intempestif. Parce que là encore, une bonne pêche, c’est une pêche avec la peau. Donc au croqueur de pêche le soin de glisser ses petits ongles délicatement sous l’étiquette, pour tenter de la décoller sans trop faire de dégâts. Si la colle a cette fois peu de chance de rester sur le fruit, en revanche, il est vite arrivé d’emporter un fragile bout de peau avec l’étiquette décollée dans la hâte : sacrilège ! Bientôt, vous allez voir qu’il vous faudra passer cinq bonnes minutes à décoller les étiquettes de chaque grain avant de vous enfiler une bonne grappe de raisin... Sans compter que le prix du kilo de raisin augmentera indubitablement pour tenir du temps passé par le quidam qui collera les étiquettes sur les grains. Époque paradoxale.

Et sur ces étiquettes, qu’y a-t-il donc de si précieux qu’on ne puisse s’en passer ? Car il va de soi que ce ne sont pas de simples étiquettes de papier recyclé, juste pour le plaisir de coller une étiquette sur une pomme. Toutes les pommes. Toutes les pêches. Ces étiquettes sont colorées et calligraphiées (donc en plus de la cellulose, du polymère collant, vous ingurgitez éventuellement de l’encre, en cas d’urgence) avec variété, provenance, comme si tout cela revêtait une importance capitale de s’en rappeler au moment même de croquer dans le fruit. Comme si la variété ou la provenance étaient des caractéristiques plus nobles que le goût ou la texture ! Comme si, une fois quitté l’étal du marchand, il ne fallait pas oublier que la pomme que l’on s’apprête à enfourner est une Granny Smith et vient de Provence ? Étiquette qui au contraire va avoir tendance à ternir le plaisir. Soit parce que vous n’êtes pas encore expert en décollage d’étiquette de pomme, et que ça vous prend sept minutes — SEPT MINUTES — pour en venir à bout avant de pouvoir enfin mordre dedans, soit parce que c’est une fois la moitié de l’étiquette en bouche que vous vous rendez compte de la présence de l’intrus, ou bien encore parce que la-dite étiquette, collante de son état, se retrouve à danser la gigue d’un bout de doigt à l’autre sans pour autant se décider à voler seule vers d’autres horizons... Plaisir gustatif bafoué, assurément.


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