Première semaine d’enseignement à distance
Quel bilan après la première semaine d’enseignement à distance ? Lors de la première vague, premier confinement, j’ai eu la chance de ne pas devoir enseigner, je n’avais pas de service d’enseignements au second semestre. Je n’ai pas d’expérience à ce moment-là.
Je m’étais alors seulement insurgé contre l’évaluation à distance en co-écrivant cette tribune : Oui à la continuité pédagogique à l’université, mais sans évaluation ! Et puis comme les universités ont été les seules entités à ne pas rouvrir après le confinement, j’ai dû faire quand même un examen de session 2 (rattrapage) en juin, à distance. Avec mon équipe, on avait alors décidé de faire un examen en ligne sous la forme d’un QCM. J’aurais été prêt à « donner » la seconde session aux étudiants sans tambours ni trompettes, mais pas mes collègues : il faut des notes ! Je n’avais alors pas voulu faire quelque chose de sophistiqué pour tenter de limiter la triche, et encore faire des contrôles intrusifs par caméra interposée. J’étais naïf. Comme on pouvait s’y attendre, la fraude a été massive (mais nous étions dans l’impossibilité de prouver quoi que ce soit), avec des notes excellentes mais malheureusement trop bonnes pour être réalistes. Mes collègues n’ont pas voulu donner ces notes aux étudiants, qui, de fait, ne représentaient pas, pour la majorité, leur niveau. Nous avons alors organisé un oral en présence à l’université. Mais nous nous sommes emmêlés les pinceaux dans les « Modalités de Contrôle des Connaissances », une poignée d’étudiants a contesté l’oral (forcément, cela leur donnait une note plus réaliste, mais qu’ils ont estimé moins bonne), mettant même l’UNEF sur le coup, ce syndicat étudiant qui se tire une balle dans le pied en refusant d’écouter des arguments pédagogiques, et qui n’a de cesse de dévaloriser les diplômes [1]. Épuisés par une semaine de tentatives de rectifications des notes, nous avons dû capituler, amers, et donner les notes du QCM en ligne. Foutues évaluations. Que l’enseignement serait merveilleux sans cela ! Mais il faut que des examens, des tas de copies, des notes forcément réductrices et biaisées, viennent gangréner les efforts de pédagogie que nous déployons pour tenter de faire comprendre et assimiler des concepts compliqués aux étudiants.
Plus tard, fin juin-début juillet 2020, nous apprenons que notre belle Université met en place des groupes de travail pour pérenniser l’enseignement à distance ! Nous décidons d’organiser une assemblée générale de notre UFR pour en discuter. Voici ce qu’il en est sorti :
Texte adopté suite à la réunion-débat (par visioconférence) sous l’égide de la direction de l’UFR de physique de l’Université de Paris, du 17 juin 2020 de 14 h à 16 h 20.
Nous avons travaillé durant 3 mois, dans l’urgence de la pandémie, à assurer la continuité pédagogique par un enseignement à distance.
Après un retour d’expérience, il apparaît que l’enseignement à distance est un mode d’enseignement intrinsèquement dégradé. Même lorsque les nombreux problèmes techniques sont réglés, ce type d’intervention n’est efficace qu’avec une minorité d’étudiants bénéficiant de conditions correctes ce qui amplifie les inégalités socio-économiques et socioculturelles entre étudiants. L’interaction directe et vivante des étudiants avec les enseignants et entre eux est quasiment absente de ce type d’enseignement alors qu’elle est un des fondements indispensables à la transmission des raisonnements et des connaissances.
En outre, s’il est clair que la solution d’un enseignement à distance a été et peut encore être ponctuellement nécessaire, il est tout aussi clair que les solutions qui ont été trouvées et mises en place l’ont été par les acteurs sur le terrain et non par les instances décisionnelles de l’université. Il est donc naturel qu’il revienne à ces mêmes acteurs de terrain, c’est-à-dire les personnels, de continuer à décider de la quantité et des modalités raisonnables d’un tel enseignement si cela est nécessaire.
Il ressort clairement de la réunion que l’enseignement à distance ne peut se substituer aux cours en présence. Si l’outil numérique prend déjà de fait une part croissante dans la pratique de nos enseignements (par exemple : supports interactifs, classes inversées, TP dématérialisés, gestion en ligne (Moodle), etc.), celui-ci ne doit pas conduire à la généralisation d’un enseignement à distance : il ne peut être envisagé que comme un outil complémentaire aux cours en présence.
Or il existe au niveau de l’administration de UP, un groupe de travail – qu’il convient de ne pas confondre avec le « réseau » inter-UFR – dont l’objectif semble s’inscrire dans un cadre plus général de la mise en place d’un enseignement à distance pérenne (voir par la lettre du VP Formation de UP en date du 18 mai).
Nous affirmons que faire de l’enseignement à distance une pratique pérenne qui se substituerait ou serait hybridée avec un enseignement en présence, et cela hors d’un cadre lié à l’urgence d’une situation, est inacceptable.
Sauf contraintes sanitaires clairement imposées par le gouvernement, il importe que les enseignements pour la rentrée 2020-2021 se fassent totalement en présence. L’université ne doit pas subir un traitement à part des autres services publics, ni des autres activités socioéconomiques. Notre mission première est d’assurer une égalité d’accès au service public qu’est l’Université. Cette égalité ne peut être assurée que par une université mettant en contact direct les corps étudiants et enseignants, ainsi que les étudiants entre eux.
Mi-juillet, nous avons eu deux demi-journées de colloque « Enseigner la physique dans le supérieur » @home consacré au retour d’expérience de l’enseignement à distance lors du premier confinement. Des interventions riches et passionnantes, comme d’habitude !
Début septembre, la rentrée universitaire s’est faite en présence, avec pour seule contrainte des amphithéâtres en demi-charge pour les cours magistraux (CM). Les travaux dirigés (TD) et les travaux pratiques (TP) étaient à pleine charge. J’ai eu la chance d’avoir des groupes restreints en cours et en TD, qui m’ont permis de fonctionner normalement. J’ai même pu faire des TD en petits groupes, étudiants masqués, tables en îlots assez larges pour respecter une certaine distanciation, porte ouverte en permanence pour faciliter la ventilation, et fenêtre ouverte de temps en temps pour faciliter l’entrée d’air extérieur [2]. Tout absorbé à mes enseignements qui m’occupent quasiment à plein temps comme chaque année au premier semestre, je n’ai pas vu arriver la forte reprise épidémique juste avant la semaine de pause fin octobre. Je pensais que les mesures prises : masque, distanciation étaient suffisantes pour tenir l’épidémie sous contrôle comme cela avait l’air d’être le cas depuis le printemps. Il n’en était rien. Si j’avais le sentiment de maîtriser mon environnement avec mes cours suffisamment ventilés, des étudiants respectueux des gestes barrières, une exposition dans les transports en commun inexistante, puisque j’allais à l’université en vélo [3], en revanche le reste de la société ne contrôlait visiblement pas grand-chose et l’exponentielle est venue se rappeler à nos bons souvenirs. Confinement. Re.
J’avais quand même prévu le coup : tous mes enseignements font l’objet d’un polycopié qui les rend quasiment auto-suffisants. Je pratique la pédagogie active partout, ce n’était pas très compliqué à transférer à distance. Même si l’inconnue et la perspective de me retrouver seul devant la caméra m’a valu quelques inquiétudes avant de lancer zoom pour la première fois mercredi dernier à 8 h 30.
Le plus dur est de s’écouter parler devant un parterre que l’on sait là, derrière l’écran, derrière les fils, mais qui est invisible et muet. On s’y habitue. Et puis les étudiants participent, par l’intermédiaire du « chat » ou même en activant leur et en prenant la parole. Ils sont « là ». J’ai enregistré les cours, comme ça, celles et ceux qui ne peuvent y assister, souvent pour des raisons de connexion difficile, peuvent le voir en différé. J’ai essayé l’exercice de revoir un cours, mais me voir et m’entendre m’est insupportable. Je verrais plus tard pour mener l’expérience à terme et en tirer des leçons constructives.
J’ai pu récupérer une tablette tactile [4], que je suis toujours en train d’essayer d’apprivoiser : pas simple d’écrire sans voir directement ce que l’on écrit (à savoir sur l’écran de l’ordinateur mais pas sur celui de la tablette), et puis, avec une réactivité moindre que celle d’un bon vieux stylo (ou d’une craie !). J’utilise le logiciel de prise de note OpenBoard que j’ai découvert pour l’occasion. Malgré une écriture que je trouve peu lisible (il faut que je m’entraîne…), les étudiants ont préféré cette solution à celle de la webcam dirigée vers un tableau blanc. J’ai également expérimenté l’outil de quiz en direct wooclap : il permet de poser des questions aux étudiants, ce que je faisais en amphithéâtre avec un papier et différentes couleurs correspondant à quatre réponses possible (outil votar détourné, car je ne prends pas de photo avec mon téléphone). Par rapport à plein d’autres outils similaires qui existent sur le marché, wooclap est assez simple d’utilisation, il permet de faire pas mal de choses, et surtout il accepte le langage mathématique LaTeX. On peut également mettre des figures. Il faut encore que je poursuive ma prise en main, mais c’est prometteur. Tant wooclap que la tablette me semblent être des outils qui m’arrivent en plein enseignement à distance, mais que je vais certainement continuer à utiliser dans mes futurs enseignements en présence. La tablette peut être une alternative intéressante au tableau noir : écrire en regardant les étudiants, plutôt que de leur tourner le dos. Seul bémol que j’y vois, ça consomme de l’énergie (il faut projeter…) alors que d’écrire à la craie, non. Il faudrait donc que la plus-value soit vraiment là. À suivre…
J’ai expérimenté les salles en petits groupes avec zoom pour les TD : les étudiants s’y retrouvent pour travailler ensemble (mais à distance). Ça semble fonctionner pas trop mal. Je peux naviguer d’un groupe à l’autre, ils peuvent m’appeler quand ils ont une question. Évidemment, je ne peux généralement pas voir ce qu’ils écrivent. Ce qui est un frein évident. Comme en TD « normal », l’un des étudiants me rend le travail effectué en fin de séance, que je corrige avant de le mettre à disposition de tout le groupe.
Donc l’enseignement à distance fonctionne tant bien que mal, mais tous les étudiants ne sont pas présents (lors du cours magistral, il y a moins de connectés que lors des derniers cours en présence avant le confinement). Certains rattrapent le cours avec la vidéo. Quoiqu’il en soit, ils ont également le polycopié contenant l’intégralité du cours.
Dès le début de mon cours magistral, j’ai également mis en place l’outil Perusall, qui permet aux étudiants d’étudier le cours sur le polycopié, de commenter certains morceaux, de poser des questions sur un terme, une phrase, une définition, une formule, et d’y répondre. Sorte de forum basé sur le cours. Cet outil a été conçu par Eric Mazur dans la perspective du cours inversés. Je teste pour la première fois cette année. Un noyau d’étudiants s’en est emparé [5], mais beaucoup ne l’utilisent pas malgré la carotte d’un point de plus de « participation » sur la moyenne de l’enseignement. Mes collègues étaient réticents à ce que j’octroie plus pour cela (alors que les études liées à l’utilisation de cet outil stipulent qu’il faut y consacrer 10 % à 20 % de la note finale, soit entre 2 et 4 points, pour obtenir les meilleurs résultats). Il faut que j’arrive à les convaincre, eux aussi, du bien-fondé de l’outil. En enseignement à distance, il me paraît essentiel.
Première semaine d’enseignement à distance. 14 h de zoom. Avant la pause de fin octobre, j’arrivais en fin de semaine un peu fatigué, peut-être en partie à cause de courtes nuits et de réveils à 5 h 45 trois fois par semaine, à cause du temps passé à la préparation de mes cours, mais probablement pas à cause de mes 180 bornes de vélo moyennes hebdomadaires ! Généralement, j’avais le moral haut perché. Enseigner, voir les étudiants, discuter avec eux, répondre à leurs questions est revigorant. Là, outre le fait que mes 180 bornes de vélo, même sous la pluie, me manquent, ce qui me manque le plus, c’est de pouvoir interagir directement avec les étudiants. Enseigner par l’intermédiaire de caméras et de micros est déprimant. Je vais évidemment faire au mieux pour continuer, mais franchement, si l’enseignement universitaire prend le tournant du distanciel (quel horrible mot !), ce sera sans moi. J’ai hâte de les revoir en chair et en os.
[1] Ainsi en août 2011, en catimini pendant les vacances estivales, un décret annonce la fin des notes planchers, c’est-à-dire la note minimale à avoir dans une matière pour pouvoir compenser cette note avec la note d’une autre matière. En physique, cela permet d’éviter que des étudiants passent dans l’année supérieure sans maîtriser les bases de la discipline. L’UNEF a largement été à la manœuvre sur ce décret. Heureusement la nouvelle loi Licence a permis de revenir là-dessus depuis l’année dernière, 8 ans plus tard...
[2] Des collègues physiciens de l’UFR, spécialistes des aérosols, ont rapidement pointés du doigt la question de la ventilation dans les espaces fermés, comme moyen de lutter contre la propagation de la Covid-19. Une façon de mesurer la ventilation d’une pièce est de mesurer le taux de CO2. Ce qui j’ai fait avec l’appareil d’une collègue dans mes différentes salles de cours. Dans l’amphithéâtre où je faisais cours, la ventilation mécanique était correcte. Dans les salles de TD, en général, il suffisait d’ouvrir la porte pour garder une ventilation correcte. Pour plus d’infos, voir : Voir Ventiler, quantifier le taux de CO2, filtrer et Comment bien aérer les pièces.
[3] J’ai effectivement décidé, début septembre, de ne pas monter une seule fois dans le RER : ce nid à microbe me semble effrayant en période épidémique. J’ai donc pris mon vélo pour aller à Paris. 24 km aller, donc 48 km aller-retour, et ce trois jours par semaine. Dont 2 (voire 3 selon les semaines) où il me fallait partir le matin à 6 h 30 pour des cours débutant à 8 h 30. J’en avais pour 1 h 15 de pédalage en moyenne, avec un peu de marge pour me changer en arrivant et pour tenir compte d’éventuels aléas (crevaison…). À plusieurs reprises je suis parti sous la pluie (et dans le noir de la nuit !), pour arriver trempé. Mais quel bonheur de prendre ainsi l’air !
[4] Une Gaomon M106K pro, (très) bas de gamme, mais c’est l’Université…
Guillaume Blanc
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