Les tribulations d’un (ex) astronome

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La galaxie la plus lointaine observée à ce jour

vendredi 29 octobre 2010 par Guillaume Blanc

L’astrophysique n’échappe pas à la quête incessante des records. Le dernier en date, c’est la galaxie la plus lointaine. Repérée dans le champ étroit mais très profond du Hubble Ultra Deep Field [1] par son extrême rougeur, signe non pas d’une grande timidité face à la caméra du télescope Hubble en orbite autour de la Terre, mais d’un décalage spectral important [2], elle fut observée en détail à l’aide du très grand télescope VLT. Cette galaxie répond au doux nom de UDFy-38135539 — et les scientifiques ne seraient pas des poètes ?

Observée, donc à l’aide de l’instrument SINFONI, qui est un spectrographe à champ intégral [3], monté sur l’un des quatre VLT qui se trouvent au sommet du Cerro Paranal au Chili, elle a pu dévoiler un peu de sa personne. Au terme de près de 15 heures de pose, une équipe d’astrophysiciens français et anglais a pu mettre la main sur son décalage spectral. Ils ont obtenu z = 8.55 avec une excellente précision [4]. Ce qui fait de cette galaxie l’objet le plus lointain jamais observé. Le précédent record était détenu par un sursaut gamma, à z = 8.2.

La galaxie UDFy-38135539 dans le HUDF
a, Le Hubble Ultra Deep Field, l’image la plus profonde jamais prise de l’univers, vue en lumière infrarouge. b, Gros plan sur la galaxie UDFy-38135539, à partir d’images composites prises en infrarouge. c, Spectre simulé de la galaxie supposant qu’elle a une population stellaire vieille de 100 millions d’années. C’est la raie Lyman $\alpha$ qui a été observé et identifiée en tant que telle, avec un décalage spectral de z = 8.55. Source : Nature.

C’est grâce à la raie Lyman $\alpha$ de l’hydrogène [5] que cette mesure a pu être faite. L’univers, en particulier l’univers lointain, contient essentiellement de l’hydrogène (et un quart d’hélium). Il n’est donc pas surprenant d’observer une raie émise par l’hydrogène. Mais compte tenu du décalage spectral (qui « décale » d’un facteur 1+z la longueur d’onde des raies des galaxies lointaines par rapport celle obtenue en laboratoire), cette raie, qui brille en laboratoire dans la partie ultraviolette du spectre électromagnétique, se trouve être observée dans l’infrarouge, à une longueur d’onde de 1161 nm.

À l’époque où la lumière de cette galaxie en est partie pour nous parvenir aujourd’hui (car la vitesse de la lumière a beau être très grande, elle n’en est pas moins finie — 300 000 km/s) l’univers n’avait que 600 millions d’années. Un jeunot. Quand on sait qu’à l’heure actuelle il a l’âge respectable de 13,7 milliards d’années !

Ce genre de course au record de la galaxie (ou de l’objet) la plus lointaine n’a pas lieu pour le plaisir de figurer en bonne place dans le livre des records, mais bel et bien pour tenter de répondre à une question cruciale en cosmologie [6], à savoir à quelle époque l’univers s’est réionisé pour redevenir transparent à la lumière ?

Je m’explique. Et pour cela, remontons un peu plus dans le temps. Pendant les presque 400 000 premières années de l’univers, on assiste à la création de toute une zoologie de particules, dont les neutrons, les protons, les électrons et les photons. Au fur et à mesure que le temps s’écoule, la température — au départ très élevée — de cette « soupe » de particules et de photons diminue, et des composés de plus en plus complexes peuvent se former en agglutinant des particules élémentaires. La mixture est « opaque » car les petits grains de lumière que sont les photons interagissent fortement avec les électrons qui sont encore libres dans ce bain de plasma. Ils ne peuvent faire beaucoup de chemin avant de rencontrer un électron avec qui jouer au billard. Quand la température baisse suffisamment, à cause de l’expansion, l’énergie des photons se retrouve sous le seuil d’ionisation de l’atome le plus simple qui soit : celui d’hydrogène. Les électrons peuvent se combiner tranquillement avec les protons pour former l’hydrogène, sans se faire culbuter à tout bout de champ par les photons un peu joueurs. N’ayant plus de compagnons de jeu — les électrons s’étant accouplés avec les protons —, les photons n’ont plus qu’à se balader librement pour aller voir ailleurs. On dit qu’il y a « découplage » entre la matière (les atomes) et la lumière (les photons).

Cette « première » lumière désormais libre émise par le tout jeune univers (il a à peine 400 000 ans !) peut-être observée, il s’agit du « rayonnement fossile » qui nous donne une incroyable quantité d’informations. C’est la première lueur que nous pouvons actuellement percevoir après le Big Bang.

Mais j’y reviendrais ultérieurement, car là n’est pas mon propos. L’univers est désormais constitué d’atomes, trois quarts d’hydrogène et un quart d’hélium, grosso modo. Il est neutre. S’ensuit une période « sombre » car aucune lumière ne baigne l’univers hormis le rayonnement fossile qui se dilue et se refroidit avec l’expansion. Néanmoins, les atomes d’hydrogène peuvent émettre un rayonnement, à la longueur d’onde de 21 cm précisément. C’est d’ailleurs potentiellement le seul moyen de pouvoir observer cet « âge sombre, » en détectant les ténues ondes radio (de longueur d’onde métrique compte tenu du décalage spectral). Cela n’a pas encore été réalisé, car le signal est très faible et les perturbations (essentiellement humaines — télé, radio...) nombreuses.

Après cette période, les galaxies commencent à se former, puis les étoiles ; à moins que ce soient d’abord les étoiles puis les galaxies ? Étoiles qui se mettent à briller et à ré-ioniser la matière alentour, formant des « trous » dans le rideau sombre. Bientôt, au fur et à mesure que les galaxies s’allument, toute la matière inter-galactique va à nouveau être sous forme de plasma. Mais par rapport à la période précédent la recombinaison, ce plasma-ci est beaucoup plus dilué, les photons sont beaucoup moins freinés dans leur course frénétique, l’univers reste ainsi transparent à la lumière.

Cette « réionisation » marque un nouveau jalon dans l’histoire de l’univers, celui de la fin d’une période sans lumière. Désormais, on y voit clair !

L’histoire cosmique
Petit résumé en image de l’histoire de l’univers. (Credit : NASA/WMAP Science Team)

La galaxie UDFy-38135539 se trouve ainsi très probablement au milieu d’un océan de matière neutre, petite bulle ionisée par les premières générations d’étoiles qui laissent ainsi échapper les premières lumières « atomiques » (c’est-à-dire dues aux transitions atomiques de l’atome d’hydrogène, par rapport à la lumière « thermique » de corps noir qui constitue le rayonnement fossile). Il s’agirait donc d’une des premières galaxies qui ont participé à la réionisation de l’univers, réionisation qui s’est achevée un milliard d’années après le Big Bang, vers un décalage spectrale de 6.

D’autres objets dans le champ du Hubble Ultra Deep Field sont semblables à celle-ci. Gageons que les records ne vont cesser de tomber dans les prochaines années, pavant ainsi petit à petit la fin de l’âge sombre de petites bulles de lumière...


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