Les tribulations d’un (ex) astronome

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Quelqu’un d’autre

mardi 30 août 2005 par Guillaume Blanc

Il y a quelques mois un couple d’amis me fit l’éloge de « Saga » de Tonino Benacquista, auteur que je ne connaissais ni d’Ève ni d’Adam. À voir l’enthousiame qu’ils mettaient pour me vendre le bouquin, je n’ai pas attendu longtemps avant de le lire. Et je me suis effectivement régalé. Un livre qui se lit sans effort (tout le contraire de Christine Angot !!), des belles phrases les unes au bout des autres, une bonne dose d’humour, et un cynisme envers la télé dans cette que « Saga » j’ai trouvé tout à fait affriolant.

Et puis fin juillet, ce fameux lundi noir où j’errai l’âme en peine dans Lyon, sachant que je n’irais pas au Pakistan pour cause de « pas de visa », accusant la fatigue d’une nuit presque blanche passée à rouler, je me retrouvai au gré de mes errances pédestres devant la FNAC. Voilà un lieu à même de me faire oublier quelque peu ma peine du moment. Me balader au milieu des livres est déjà une consolation en soi. Alors que j’étais au début du rayon des romans, j’ai surpris une conversation entre une cliente et une vendeuse. Cette dernière lui conseillait « Quelqu’un d’autre » de Tonino Benacquista, disant qu’elle l’avait préféré à « Saga ». Je ne sais pas si la cliente fut convaincue, mais moi, il ne m’en fallut pas plus : je suis sorti du magasin avec le bouquin sous le bras. Celui-là et d’autres, tant qu’à faire. Après, les vacances furent plutôt bien occupées, la montagne, les amis, et puis Christine Angot qui monopolisait mon temps de lecture ont fait que je n’ai pas touché au Benacquista jusqu’à il y a une semaine environ. Depuis je ne l’ai pas lâché autant que les soirées avec les amis me le permirent. Et dimanche, jour de pluie, s’il en est, je l’ai terminé.

C’est l’histoire de deux hommes, Thierry Blin et Nicolas Gredzinski, qui se rencontrent sur un court de tennis, le temps d’un unique match, qui vont fêter ça au troquet du coin après coup, et qui font le pari de se retrouver au même endroit, trois années plus tard exactement, chacun en étant devenu « un autre » Celui dont il rêvait d’être. C’est Thierry Blin qui jete le pari sur la table. Il va prendre la chose très au sérieux. Et, petit à petit, devenir cet autre qu’il a toujours rêvé d’être. Thierry Blin, encadreur tranquille dans une petite boutique parisienne, va disparaître pour donner naissance à Paul Vermeiren, détective privé. Changement de nom, chirurgie esthétique, faux papiers, Blin n’y va pas avec le dos de la cuillère. Tout a été pensé, calculé.

Gredzinski, pour qui ce pari lui fait plutôt l’effet d’un délire alcoolique, a quand même fait une découverte fondamentale ce soir-là en compagnie de Thierry Blin, dans ce bar après leur match : celle de l’alcool. Car Gredzinski, avant ce soir-là « n’avait aucune histoire personnelle avec l’alcool  ». C’est ainsi que, grisé par le match et par sa rencontre fortuite avec Blin, il attaqua l’exploration directement avec la vodka. De fait la transformation de Nicolas Gradzinski fut plus subtile et beaucoup moins prémédité que celle de Thierry Blin. Cette connaissance tardive qu’il fit avec l’alcool et la vodka en particulier le poussa à retrouver la sensation découverte dès le lendemain. C’est dans ce bar où il approfondissait la chose qu’il fit la connaissance de Loraine, qui remplissait son briquet avec du parfum « Miss Dior. Sinon c’est une infection. Ça brûle aussi bien, et en plus, ça fait une jolie flamme bleue ». Désormais rendez-vous tacite sera pris avec la mystérieuse mais non moins envoûtante Loraine. L’alcool a un effet pour le moins inattendu sur le comportement de Gredzinski. Lui si anxieux, si renfermé va se voir s’affirmer dans la vie et surtout au travail, ce qui lui permet de gravir quelques échelons («  La molécule d’alcool éthylique avait agit directement sur son sens du ridicule et fissuré en quelques minutes le rempart qu’il avait passé des années entières à se fabriquer à grands coups d’humiliations enfantines et de maladresses adolescentes »). L’invention du Trickpack, une canette de coca qui recouvre celle de bière lui permet non seulement de boire tranquillement sa mousse au boulot, mais aussi accessoirement de s’enrichir, car il dépose le brevet. Il prend la vie avec plus de désinvolture, et ça lui réussit. La compagne de ses virées alcooliques, puis de ses nuits, Loraine, n’est pas pour rien non plus dans l’affaire... Elle est le catalyseur de la transformation. Comme quoi, avoir une femme dans le cœur, quoiqu’on en dise...

Bref, tout leur sourit à tous les deux, chacun à sa façon. Blin s’est prit par la main pour changer du tout du tout. Gredzinski a prit la vie à bras le corps, et de fait évolue lui aussi.

Vous l’aurez compris, j’ai adoré. Outre le fait que Benacquista met le doigt sur quelque chose qui me touche particulièrement là encore : si je me sens à cent lieues du personnage de Blin/Vermeiren, en revanche celui de Gredzinski me touche de beaucoup plus près. Lui a trouvé la substance lui permettant de passer au statut de sur-homme dans son propre référentiel. Moi, je la cherche toujours. En fait non, je ne la cherche pas (et non, rien à faire, je ne me mettrais pas à la vodka, même pour « voir » !), mais c’est un travail continuel sur moi-même que j’effectue, cherchant chaque jour à me dépasser un petit peu plus. Gagner ma propre confiance, perdre un peu de cette anxiété de tous les instants. Et, ma foi, petit à petit, ça marche. J’en sens déjà les effets bénéfiques. À part ça, donc, Benacquista nous livre un roman d’une grande originalité, et écrit toujours de manière superbe, avec un humour ni trop lourd, ni trop léger... À mettre entre toutes les mains, assurément !

Forcément, avec une prose aussi belle, j’aimerais citer le bouquin dans son intégralité. Je vais me contenter de quelques passages que j’ai relevé lors de ma lecture.

« [...] nous ne sommes pas tous égaux devant le vice. Certains ne vivent que pour ça, d’autres meurent de n’en avoir connu aucun. »

« Les malheureux qui n’ont rien de particulier à vivre, à aimer, à penser, ou à donner, n’ont plus qu’une dernière petite joie dans la vie : les vices des autres. Vous voir boire les rassure, ils ne sont pas encore tombés si bas. »

« L’ivresse générait beaucoup de bruit, peut-être un peu de fureur, rarement des souvenirs. »

« Quoi de plus pathétique qu’un type soûl qui propose la bagatelle à une créature ? Le même type le lendemain matin.  »

« À force d’écouter l’orage gronder sans se déclarer vraiment, tu vas gâcher ta vie à attendre un malheur qui n’arrivera jamais. »

« Pour se réveiller avec la faim au ventre, il fallait sacrément aimer la vie. »

« Ceux qui te regardent de travers quand tu bois un whisky sont ceux qui n’ont pas de plus grande ambition dans la vie que de placer « whisky » au Scrabble. »

« La première impression est plus fiable que la deuxième, pour une raison précise : elle est le fruit d’une bien plus longue expérience. »

« Craignez les anxieux, le jour où ils n’auront plus peur, ils deviendront les maîtres du monde. »

« Chercher le prévisible en chacun, c’était nier l’irrationnel de tous, leur poésie, leur absurdité, leur libre arbitre. »

« Devenir un fait divers est le plus sûr moyen de ne pas être oublié. »

« La grande question : « Est-ce qu’il ne nous arrive que ce qui nous fait peur ? » ou « Est-ce justement ce que nous redoutons le plus qui n’arrive jamais ? » »

« L’alcool tuait depuis toujours. Mais, parmi les millions de vies qu’il prenait, il lui arrivait, peut-être, d’en sauver une de temps à autre. »

En définitive, Benacquista fait d’un roman ce que chacun d’entre nous a, plus ou moins consciemment, toujours rêvé : être quelqu’un d’autre ! Ça peut-être un changement minime, ça peut être quelquechose de plus gros. Qui ne rêve pas d’avoir un caractére différent, des compétences, des qualités différentes, qui n’a jamais envié son prochain sur certains points... En tout cas, moi, sans être particulièrement mal dans mes pompes, parfois, je me dis, que j’aimerais bien être comme ça ou comme ci. Changer un peu, un petit chouïa. Avoir un caractère peut-être moins pusillanime, plus affirmé. Alors j’essaye. Qu’est-ce que je risque ? Tiens, et vous, cher lecteur, si vous me racontiez votre « quelqu’un d’autre » à vous ?


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