J’ouvre un œil, engoncé dans mon sac de couchage. Il est gonflé comme un véritable plumage. J’ai bien chaud. La nuit bat son plein. Je ne sais pas quelle heure il est, ma montre est quelque part dans le bric-à-brac à côté de ma tête. C’est une envie de pisser qui m’a réveillé. Comme chaque nuit depuis le départ. Une pâle lueur semble baigner l’exiguïté de l’espace. Je tergiverse un instant, puis je finis par me décider à m’extirper de mon cocon pour aller faire un tour dans la neige. J’ouvre la tente, j’enfile les chaussons des chaussures de ski, je me passe des coques, et je me déplie dans la nuit. Nuit pas si noire, encore illuminée par un magnifique dernier quartier lunaire ; la face nord du Petit Rochebrune brille, toute la montagne, d’une blancheur immaculée, resplendit sous la clarté de la lumière sélène. La neige crisse sous mes pas. Mon envie soulagée, je me replie dans le nid : dehors, c’est beau, mais ça caille. Un coup d’œil au thermomètre dans un coin de la tente : -10°C. Je retourne dans les bras de Morphée.
J’avais des envies de raids hivernaux. Si possible pas trop loin des Hautes-Alpes pour des raisons logistiques (grand-parents à proximité…). Je me suis dit qu’une petite traversée du Queyras, ça pourrait être sympathique. Après une première version imaginée de refuge en gîte et de gîte en refuge, je me suis dit que finalement, avec la tente, ça pourrait peut-être le faire aussi ? Une première tentative l’année dernière où nous n’avions même pas décollé de la maison, un retour d’est venait de déposer un mètre de neige, le premier col n’était même pas franchissable… La deuxième est la bonne.
Nous n’avons pas fait d’émules au GUMS. Tant pis, ce sera Anne-Soisig et moi. Lundi matin nous préparons les sacs. Ma mère nous emmène à Maljasset en voiture ; en passant à Guillestre, nous faisons les courses pour la nourriture. Il nous faut du gaz, aussi, évidemment. Il fut difficile de trouver des bouteilles autre que Camping Gaz. Heureusement, le magasin de sport du coin en avait.
Je ne sais pas combien pèsent nos sacs. Une bonne vingtaine de kilos. Je suis content et confiant, malgré une météo mitigée. D’ailleurs, l’après-midi s’avançant, le brouillard se mettra de la partie, il se mettra à neigeoter. Trop tard pour espérer passer le col de la Noire dans ces conditions, nous posons la tente au pied du col à proximité d’une cabane virtuelle qui ne semble n’avoir d’existence que cartographique. Le lendemain, c’est toujours bouché. La tente, que nous avions pris soin de protéger du vent dans un grand trou creusé par nos soins dans une neige pulvérulente et profonde, aura été le réceptacle d’une congère qui la recouvrait à moitié, la mécanique des fluides ayant fait son œuvre dans la nuit. Petit-déjeuner sous les flocons. Nous partons quand même. Le passage du col se fera grâce au GPS sur le téléphone, avec le fond de carte IGN et avec la carte des pentes raides grâce à l’application Iphigénie : nous sommes en degré de danger d’avalanche marqué, il s’agit de ne pas se louper dans les pentes flirtant avec les trente degrés ; le tout avec l’aide de la boussole : notre environnement est tout blanc où que le regard se dirige. Dans la descente du col, même chose. Les sacs sont lourds, on ne voit rien du tout, la neige est croûtée pourrie : mais qu’est-ce que je fous là ? Franchement ?
Sur ces conditions philosophico-existentielles, quoi qu’il en soit, il faut continuer de descendre : cap sur le refuge de la Blanche, où nous nous réfugions le temps de casser la croûte. Nous y sommes super bien accueillis. Et le soleil fait son apparition. La crête frontière reste sous les limbes, nous laissons tomber le col de Chamoussière et le Pic de Caramantran pour franchir tranquillement le col de Longet plus aisé. Nous n’y croisons personne, bizarrement. Nous remontons en face, au soleil, pour aller poser notre camp dans le vallon de l’Aiguillette sous le Grand Queyras.
Le lendemain, nous laissons la tente sur place, les sacs lestés uniquement des crampons et du piolet, nous allons voir de plus près le Grand Queyras. Les pentes ne sont pas si raides, pas si longues. Trente-cinq degrés. Nous arrivons rapidement sur l’arête ouest.
À voir le chemin vers le sommet, je suis dubitatif : l’arête n’est pas si débonnaire que ça, nous n’avons pas de corde. De surcroît, c’est plein de neige. Nous barbotons dans la neige avec piolet et crampons jusqu’à l’antécime, l’histoire de les sortir un peu, la suite ce sont deux ou trois gendarmes qui n’ont pas l’air commodes à franchir. Sans corde, nous abandonnons l’idée d’aller au sommet, avec un arrière goût de frustration… La descente est plutôt bonne. De retour à la tente, nous
chargeons les sacs, direction le Pic de Fond de Peynin. Quand nous y arrivons, il n’y a plus personne. La descente versant ouest est très bonne. Nous traversons vers le col de la Lauze dont nous remontons le versant sud sous un beau soleil de fin d’après-midi. Sous un vestige de téléski aussi. Le soleil est déjà bas sur l’horizon quand nous arrivons au col. Nous aurons droit à une fantastique descente dans le mélézin avec une belle poudreuse. La fin est moins délectable, piste de ski de fond pour rejoindre Abriès. C’est entre chien et loup que nous nous poserons, un peu à l’écart du village, à côté de la rivière, là où le peu de neige nous semblait potable.
Jeudi matin, nous partons vers le col du Malrif les skis sur le dos, en commençant par le chemin de croix sous la chapelle de Notre-Dame-Des-Sept-Douleurs . Nous choisissons le sentier, a priori plus direct, à moitié déneigé, mais pas trop, un peu (beaucoup) pénible à gravir les skis sur le dos en pataugeant dans une neige croûtée, mais en trop faible quantité pour chausser les skis. Au bout de deux heures de ce régime, et seulement quatre cents mètres de dénivelés avalés, nous tombons sur une route enneigée qui nous aurait porté là quasiment sans douleur. Au-delà d’une certaine bergerie (des Salins), nous quittons toute trace humaine, pour pénétrer dans un vaste vallon sauvage, la Montagne du Malrif, sous la face sud du Grand Glaiza. Nous devons en faire le tour pour accéder aux pentes du col convoité. Ce col nous a posé question, il n’était pas évident que nous puissions le traverser, une partie raide (35°) y est à franchir ; or la veille, des pentes de même orientation, mais nettement moins raides, sous le col de la Lauze généraient de puissants et inquiétants « woufs. » Dès lors que nous avons vue sur ces pentes, d’en face, nous sommes plus optimistes, au pire, la crête sur le côté, moins raide, en partie rocheuse, devrait permettre d’accéder au col sans devoir passer par la partie raide. Le contournement du ravin en fond de vallon se révèle tentaculaire, avec une impression de ne jamais finir, chaque croupe atteinte dévoilant un nouveau réseau de talweg à contourner : le chemin restant à parcourir semble ainsi s’allonger… Fractal.
Au pied des pentes sous le col, le manteau neigeux est sain, déjà bien transformé par plus de deux jours de beau temps. Quasiment une neige printanière. Nous l’abordons avec confiance. Nous arrivons au col avec bonheur. La lumière est polaire, le fond de l’air est frais avec une petite brise. Nous découvrons de l’autre côté un superbe vallon vierge et immaculé sur l’un des replat duquel il nous tarde de poser notre camp.
Avant cela, deux cents mètres de descente dans une belle neige poudreuse. Nous choisissons de nous poser là. Au soleil. Il est un peu tard pour espérer faire le Grand Glaiza dans la foulée, l’heure et l’énergie perdues dans le baroudage au départ d’Abriès dans la matinée auront été fatales au programme envisagé. Tant pis, il sera toujours là demain !
Nous grignotons un bout de pain et de fromage les doigts de pieds en éventail (dans les chaussures de ski !) au soleil. Nous montons la tente en l’amarrant comme chaque soir avec des rondelles de bâtons de ski enfouies dans la neige. Nous construisons un muret de neige tout autour en prévision d’un hypothétique vent. Pour le moment, c’est calme plat. Nous en profitons pour nous rassasier de la beauté du lieu. Dès que le soleil disparait derrière le Petit Rochebrune, un voile glacial s’empare du paysage. Nous déroulons les duvets dans la tente pour nous y engouffrer. Un peu de lecture ou d’écriture au chaud et vient le temps de commencer à préparer le repas du soir. Le rituel journalier commence à être rôdé. Trois gamelles d’eau chaudes sont nécessaires, une pour la soupe, une pour le plat de résistance, la dernière pour la tisane. Et une de plus pour faire l’appoint dans les gourdes pour le lendemain. Chaque casserole d’eau prend environ une demi-heure pour parvenir à l’ébullition. Un quart d’heure pour que la neige soit à l’état liquide, un autre quart d’heure pour la faire bouillir. Deux bonnes heures en tout ! Qui passent finalement rapidement. Le temps s’écoule de manière différente.
Après avoir avalé le dessert, un petit tour dehors pour les ablutions vespérales, sous l’œil voilé de quelques étoiles, celles d’Orion, ou encore de la brillante planète Vénus.
Au réveil, place au rituel du matin. Une seule casserole d’eau pour le reste de muësli, arrosé d’un thé. Nous laissons la tente en plan, pour aller faire un tour sur le Grand Glaiza, les sacs quasiment vides, à tel point que j’ai oublié d’y glisser les couteaux, qui auraient été vaguement utiles. Le vent souffle, frisquet. Il dessine des arabesques sur la neige. L’œuvre artistique d’Éole me fascine toujours autant. Sommet. La vue est incroyable : l’Embrunais, pas très loin, avec le Morgon et le Mont Guillaume qui se font face de part et d’autre de la vallée, le Queyras que nous venons de traverser, le Val de Thures à nos pieds, le Mont Blanc au loin, le massif des Écrins qui s’étale à l’est. Et personne. Je m’attendais à trouver au moins des traces de randonneurs, mais non. La descente à venir nous donnera l’explication : l’approche depuis Cervières est quelque peu dissuasive !
La descente jusqu’à la tente est un régal : il faut absolument skier avec un gros sac pour se délecter ensuite d’un sac léger ! Nous plions le camp, chargeons les sacs. Descente vers les Fonts. Et puis ce sont sept kilomètres de platitude en forme de piste de ski de fond pour rejoindre Cervières. C’est longuet et crevant, le pas de patineur avec plus de vingt kilos sur le dos, c’est quelque chose ! Ceci étant, le paysage est fantastique : de part et d’autre du ruban de neige damée, le reste du manteau ressemble à un vaste édredon, blanc, épais et duveteux, duquel émergent arbres et arbustes justement mis en ombres et lumières par un soleil sans concession.
Nous arrivons à Cervières à 13 h exactement en même temps que mes parents à qui nous avions donné rendez-vous le matin depuis le sommet, le téléphone passait. Sarah est là, c’est la fête des retrouvailles !
Contents !
Quatre cols traversés, deux sommets et demi visités, dont un et demi en aller-retour. 5450 m de dénivelé. Un certain nombre de kilomètres. Pas de quoi pavoiser sur les chiffres (dénivelé journalier maximal : 1450 m !). En revanche, une belle symbiose avec la montagne, la liberté, et ça, ça ne se mesure ni en mètres ni en kilomètres, c’est au-delà !
Nous avons pu tester l’application Iphigénie avec la carte des pentes mise en place depuis l’automne par le l’IGN sur le Géoportail : très appréciable quand on est en degré de danger marqué, et d’autant plus quand il faut passer un col à la raideur proche de 30° dans le brouillard. Le téléphone (Samsung Galaxy A3 2016) était quasiment en permanence en mode avion. Je n’ai pas enregistré la trace, par crainte d’un surplus de consommation de batterie ; un petit regret de ce côté, je pense que ça aurait pu le faire. D’autant que nous avons testé également le panneau solaire doté d’une batterie d’appoint Frendo Power Sun 3,5 avec une capacité de 3000 mAh. Nous avons pu recharger les téléphones avec. La batterie du panneau se rechargeait en une demi-journée au soleil (sur le sac à dos).
Nous avions des bons duvets (Thor et Shocking Blue de Valandré), des bonnes doudounes. Une tente de randonnée deux places trois saisons, un peu vieille (le double toit partait en lambeaux).
Côté nourriture, seulement des choses qui nécessitent de l’eau bouillante comme la semoule. Des sachets de soupe Knorr que nous partagions à deux, des céréales Tipiak (celles qui affichent seulement 5 min de cuisson sur le paquet : ça « gonfle » très bien dans un bol d’eau bouillante fermé avec un couvercle, et c’est meilleur que la semoule !) (environ 100 g/jour/personne) avec du fromage, de la tisane, du chocolat. Pour le petit-déjeuner, thé et muesli à l’eau chaude (avec un peu de sucre) : environ 200 g/jour/personne. En quatre jours (soir et matin), nous avons consommé 630 g de gaz, soit environ 80 g/jour/personne. Le réchaud est un MSR Micro Rocket ; une petite plaque de contreplaqué pour le stabiliser dans la neige, et un paravent en papier aluminium.
Budget environ 40 €/personne pour les 5 jours (nourriture et gaz). Ce à quoi il faut ajouter un aller-retour en voiture Embrun-Maljasset et un autre Embrun-Cervières.
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