Balade à ski en rive gauche de l’Ubaye
Dimanche 24 février 2019, nous sommes déposés juste au-dessus des Clarionds dans le vallon de Lavercq au sud-ouest de Barcelonnette, en rive gauche de l’Ubaye. Anne-Soisig, Jérôme et moi, nos skis, chaussures et bâtons, et des sacs à dos démesurés. Pas de neige au départ, nous mettons les skis sur le sac, quelques kilos de plus ou de moins… Un peu plus loin la neige est là, sur la route, nous chaussons.
Nous partons pour quelques jours de balade sauvage, skis aux pieds, à deux pas de la civilisation. L’aventure à côté de chez soi. En autonomie, avec la tente dans le sac, car c’est plus rigolo ainsi, on est en osmose avec les éléments. Pas de contrainte d’horaire, aucune crainte de trouver une cabane fermée ou sale ou déjà complète. Libres. On se pose où on veut quand on veut, comme on veut. Le revers, car il en a un forcément, c’est évidemment le poids des sacs. 22-23 kg pour le mien, un peu moins de 20 kg pour Anne-Soisig. Nous échangerons des paquets de céréales au gré de la forme de l’un ou l’autre. On est libre, mais on optimise quand même la trajectoire ! Le free ride avec ça sur le dos ce sera pour une autre fois ; on ne peut pas tout avoir. Ceci étant, si le manteau neigeux était très stable, globalement de type printanier, en revanche, la qualité de la neige n’était pas optimale. En versants sud, essentiellement une neige « pénitanière » hérissée de ces pointes qui se forment dans des conditions climatiques ensoleillées et sèches, pointes globalement tournées vers le soleil, qui grandissent en s’érodant à leur base par sublimation, les pénitents. Ils furent omniprésents tout au long du parcours, de quelques millimètres, à quelque trente centimètres. Tantôt durs comme de la glace le matin, ou mou comme de la purée en milieu d’après-midi. Pas facile à skier quoiqu’il en soit. En versants nord, une neige très exceptionnellement poudreuse tassée, bien plus souvent très hétérogène variant entre le dur, les sastrugis, la croûtée. Pas de quoi pavoiser, donc, avec ou sans sac, lourd ou pas, c’était quasiment du pareil au même : il fallait descendre, pour le style ou le plaisir on verrait une autre fois. Cinq jours sur six de grand beau temps relativement chaud pour la saison. Le sixième (et dernier) jour, beau temps froid avec du vent, puis couvert pour la dernière descente. Quoiqu’il en soit, des conditions relativement exceptionnelles pour notre entreprise. Même si les versants sud commençaient sérieusement à s’assécher ce qui a nécessité quelques concessions.
Nous commençons par gravir la Tête de l’Estrop, au fond du superbe et sauvage vallon du Lavercq. Nous laissons exceptionnellement les sacs au col pour la dernière centaine de mètres. L’après-midi est bien avancée, nous descendons un peu en versant sud, pour poser notre premier camp sur un replat tandis que le soleil donne ses derniers rayons. Nous plantons notre tente deux places toute neuve pour la première fois, en quelques minutes. Jérôme a également une tente toute neuve, une place, mais bataille un bon moment pour la mettre d’aplomb. Après que le soleil s’est couché derrière la crête de Chabrières, le froid s’abat d’un coup. Nous nous réfugions dans nos abris de toile et commence alors ce qui deviendra un rituel au fil des jours : faire fondre de la neige, faire bouillir l’eau, manger. Un bol de soupe puis un bol de céréales avec du fromage et enfin une tisane avec deux carreaux de chocolat en guise de dessert. Assez inconfortablement assis dans la tente, à moitié enfournés dans nos duvet, ou bien toujours dans les duvets, mais « à la romaine » sur le côté, ou alors assis côte à côte dans la tente, les pieds dans un trou dans l’abside. Jérôme souvent en face, mais seul dans sa tente. Une nuit magnifiquement étoilée s’ensuit. Les ablutions sérotinales — minimalistes : brossage de dents — s’effectuent sous une incroyable myriade d’étoiles. Nous sommes proche de la civilisation, mais néanmoins suffisamment éloignés pour que sa lumière ne vienne pas polluer notre ciel. Ou peu. Civilisation dans toute sa laideur que nous croiserons surtout le deuxième jour, en descendant sur les pistes de la station de la Foux d’Allos, et l’avant-dernier jour en traversant la route du col de Larche transbahutant ses voitures et ses poids lourds. Même si routes et chemins nous ont parfois été utiles car seules trajectoires possibles traversant des pentes abruptes ou seuls rebord enneigés au milieu d’adrets à sec.
La plupart du temps, nous étions seuls. Nous avons croisé une petite poignée de randonneurs, de près ou de loin. Mais la montagne n’était pas vierge, la neige gardait l’empreinte de traces plus ou moins anciennes : la dernière chute de neige datait de plus de trois semaines, alors même à raison de quelques pelés de temps en temps, les traces, malgré leur éphémérité, ont persisté. Le deuxième jour, lundi, c’est un peu une liaison entre le massif de l’Estrop et celui du Pelat, mais sauvage et ponctué de beaux paysages quand même. Puis, c’est le mont Pelat. Le seul sommet que nous ferons en aller-retour en laissant une bonne partie de notre matériel au pied. Un petit
couloir raide en neige dure est remonté en crampons, puis des pentes vallonnées nous emmènent jusqu’au sommet, sec, rocheux, minéral. Il n’est pas facilement accessible, le mont Pelat, ses deux principaux accès sont raides et nécessitent des conditions de neige stable. La tentative précédente s’était ainsi soldée par un échec. La descente s’effectue dans une neige pénitente mais relativement soupifiée, le couloir est revenu juste comme il faut. Nous retrouvons nos affaires avec un peu de regret, car la légèreté, c’est pas mal aussi. Nous poserons notre troisième camp sur les vastes étendues plates entre le col de la Petite Cayolle et celui de la Cayolle, juste à côté d’un ruisseau qui affleure dans le manteau neigeux. De quoi économiser de précieux grammes de gaz en évitant la fusion de la neige. Nous nous accordons une heure de farniente au soleil après avoir monté la tente.
La quatrième jour commence par un point d’interrogation : je ne sais pas si ça « passe. » Nous grimpons sur la Tête de la Gipière dans l’idée de redescendre de l’autre côté, d’une part pour l’esthétisme de la chose et d’autre part pour éviter un long détour. Mais la carte laisse entendre que ça ne descend pas aussi aisément que ça, et je n’ai trouvé aucune photo ni topo de la face nord-est ou de l’arête est. On verra bien. De fait, l’arête est courte, mais très exposée, et nous n’avons pas le matériel pour la franchir en sécurité. La crête vers la cime de l’Eschillon, au nord, dont la face est est une classique du secteur, se transforme en arête rocheuse sur la fin, là encore il nous manque le matériel pour y aller en sécurité. Reste la face nord-est elle-même. Raide, exposée au-dessus de barres rocheuses, ça peut quand même le faire avec une traversée pour rejoindre des pentes plus débonnaires. Je vais voir. La neige porte bien. Un peu de dérapage en restant concentré, le sac sur le dos ne donne pas droit à l’erreur, et ça passe. Je fais signe à mes acolytes.
Nous remontons ensuite en face. C’est un peu une constante de ce raid : descendre sur le flanc d’une vallée pour remonter de l’autre côté. Nous traversons le col de la Braïssa pour descendre vers Sestrière dans un mélézin stupéfiant : de nombreux arbres sont coniques, pas plus haut qu’un mélèze « normal », en revanche la base de leurs troncs est d’une incroyable circonférence ; des chandelles massives au tronc noueux témoins des temps depuis plusieurs siècles. Après un rapide casse-croûte sur un tapis d’aiguilles de mélèze pour reprendre des forces, nous attaquons la dernière montée de la journée, vers le col de Colombart, en plein cagnard. Heureusement une brise légère nous permet de garder le rythme jusqu’en haut, et nous terminons au sommet de la pointe de Chaufrède. Belle descente dans une neige printanière, puis dans une poudreuse inattendue dans le vallon du même nom. La traversée du torrent dans le fond fut quelque peu acrobatique et Anne-Soisig a failli finir les fesses dans le bouillon. Nous nous arrêtons alors que le soleil disparaît derrière la crête.
La montée au col des Fourches est déneigée, sauf un étroit ruban de neige sur la route asphaltée qui monte doucement au col de la Bonnette. Le col débouche sur le superbe vallon du Salso Moreno. Avec vue sur le pas de la Cavale par lequel nous devons passer. Il a une sale tête vu d’ici : raide, à moitié déneigé. Les autres options ne sont pas plus encourageantes, nous décidons d’aller voir de plus près. Des chamois gambadent sur des pentes de neige et d’herbe un peu plus loin.
Au moment de remettre les peaux au fond du vallon, après une belle descente raide en bonne neige printanière, je me rends compte que mes skis sont en train de se délaminer au niveau de la fixation. Une fissure de l’épaisseur d’un ongle. Je sais alors qu’ils sont foutus. Depuis combien de temps est-ce là ? Est-ce récent ? Ou pas ? Quoiqu’il en soit, je n’ai pas le choix, il faut continuer avec. Je vais surveiller de près pour voir si ça évolue dans la journée. J’ai un peu peur de les casser, d’arracher une fixation ou de les voir s’effeuiller au milieu de nulle part et de me retrouver coincé. Au fil du temps, je reprends confiance, la fissure n’a pas l’air d’évoluer, elle doit être là depuis un certain temps. J’arriverai au bout sans plus de casse.
Le cheminement vers le pas de la Cavale est sympathique, nous croisons deux dolines typiques de ce terrain gypseux, impressionnants entonnoirs d’un dizaine de mètres de profondeur. La pente s’accentue sous le col, en plein soleil. Nous déchaussons pour enfiler les crampons. Nous n’avons pas de piolet, si la pente est courte, elle est raide, et sous une couche de neige humide, le fond est dur, glacé. J’ai fait la trace en serrant les fesses. En haut, nous atteignons le vallon du Lauzanier qui vient buter en pente douce. Vallon qui s’écoule de platitude en platitude vers le col de Larche. Nous avions une belle vue sur le versant en face qui nous attendait dans sa sécheresse désolante. Néanmoins un étroit ruban de neige le zébrait sur un chemin qui arpentait la montagne. Ancien chantier finalement utile, puisque nous avons pu garder les skis aux pieds, hormis quelques sauts de puce, malgré la longueur du trajet. Route que nous quittons sous le col Rémy pour patauger dans une neige trempée par la chaleur printanière sur une grande profondeur. Tant bien que mal, nous arrivons au col avant de descendre de l’autre côté pour aller poser nos tentes sur le replat de la Montagnette à proximité de la cabane de Viraysse. Nous aurons droit au soleil jusque vers 17h45, un record !
Le lendemain, dernier jour, la tente est recouverte de givre. À l’intérieur. Il ne faut pas bouger, toucher les parois sous peine de chute de neige glaciale dans le cou. Alors il faut prendre son courage à deux mains pour émerger du duvet. Après le rituel matutinal, une casserole d’eau chaude pour le thé et le muesli, une autre pour la gourde, il faut plier duvet et matelas, tente et faire rentrer le tout dans le sac à dos. Le soleil nous éclaire déjà lorsque nous partons. Direction le col de Portiola, puis, côté italien, le colle Infernetto. Il fait froid, un vent glacial nous secoue de temps en temps. Le soleil brille. Malgré les nuits de 9 à 10 h engoncé dans le duvet avec un sommeil correct, une certaine fatigue semble commencer à s’accumuler pour chacun d’entre nous. Le pas est plus lent. Les journées de plus de huit heures de marche quasiment non-stop usent. Un instant mon attention s’échappe, une petite descente avec les peaux, mon ski se plante dans la neige, surpris et désarçonné je me casse la figure la tête la première. Mon cou plie sous le choc, d’autant plus avec le poids du sac à dos. Une violente douleur irradie dans les cervicales. Jérôme m’enlève mon sac et mes skis, je reprends mes esprits. Je me relève, la douleur s’estompe. On peut bientôt repartir. Je m’en veux d’avoir manquer de vigilance. En plus, cela fait plus d’une journée que j’essaye d’envoyer un sms pour prévenir mon père qui doit venir nous récupérer à Maljasset, sans succès. Pas de réseau. Il ne s’agit donc pas de se faire mal. Rester concentré.
Le colle Infernetto s’atteint sans problème. La descente est raide, ça pourrait passer à skis, mais je préfère qu’on le fasse tous en crampons pour assurer le coup. De là, la vue sur le col suivant, Ciaslara, est impressionnante. Un examen attentif de la carte montre que la montée, malgré les apparences, n’est pas si terrible. En revanche, la descente semble raide mais la précision de la carte côté italien ne permet pas de savoir comment. Néanmoins un itinéraire de ski y passe, en pointillés, et des traces anciennes de montée et de descente jonchent la face sud en face de nous. Ça « doit » passer relativement aisément. Après un rapide casse-croûte dans le fond entre les deux cols, la remontée s’avale sans problème. La descente est raide, nous la faisons encore en crampons. Le vent est violent et glacial au col. De l’autre côté, ça descend. Mais le soleil s’est carapaté, c’est brouilladeux, le ciel est menaçant. Il est temps de terminer. Nous descendons doucement vers Maljasset depuis le col Mary rejoint par gravité. Aujourd’hui la neige n’aura pas décaillé, le vent l’a empêché de se réchauffer. C’est donc une neige horriblement dure, chaotique et labourée de traces diverses qui nous ramène tant bien que mal dans la vallée.
Arrivés à Maljasset nous nous réfugions au refuge pour appeler mon père, lui dire qu’il peut venir nous chercher, et accessoirement boire un coup au chaud. Première journée où nous avons eu (un peu) froid. Vendredi 1er mars.
Nous avions acheté une nouvelle tente qui nous a donné entière satisfaction : la Big Sky Chinook 2P, quatre saisons, un peu moins de 2 kg, très confortable car avec des absides assez vastes des deux côtés, qui permettent de cuisiner « au lit. » Très rapide à monter car le double toit est solidaire de la tente. Elle est censée tenir en cas de grand vent, mais nous n’avons pas eu à tester.
J’ai également acheté avant de partir un matelas gonflable. J’avais un matelas auto-gonflant depuis plusieurs années mais lors d’un bivouac dans la neige il y a quelques semaines, j’ai senti que l’isolation laissait à désirer. J’ai donc opté pour l’un de ceux testés dans Carnets d’Aventures, le Synmat HL winter d’Exped. Le matelas est fourni avec un sac de gonflage pour éviter de souffler dedans et d’y introduire de l’humidité. C’est pas mal du tout après avoir pris le coup de main, d’autant que le sac peut servir à protéger des affaires de l’humidité, ou d’oreiller… Le seul point négatif, c’est le sac de rangement, un poil trop petit : je ne suis jamais arrivé à rouler la chose suffisamment serrée pour le faire tenir dedans. Anne-Soisig s’en chargeait, même si elle regardait mon matelas d’un œil envieux depuis le bas de son carré de mousse !
107 km parcourus, 8890 m de dénivelés positifs, 17 peautages, 48h de ski, 6 (bonnes) journées, 5 nuits.
Topo et trace GPS sur c2c.
Guillaume Blanc
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